La solidarité est un de ces traits de caractère des personnes ou des groupes humains qui s’appliquent également aux documents, ce qui n’a finalement rien d’étonnant car les documents sont la trace de l’activité humaine et sont donc susceptibles de présenter les mêmes qualités et les mêmes défauts que leurs auteurs : clarté, duplicité, concision, confusion, originalité ou banalité, etc.
Une des définitions les plus courantes de la solidarité est « un lien d’engagement et de dépendance réciproque entre des personnes ainsi tenues à l’endroit des autres, généralement des membres d’un même groupe liés par une communauté de destin (famille, village, profession, entreprise, nation, etc.) ».
Or ce qui caractérise les documents d’une même affaire (une acquisition, un marché, un contentieux…) c’est bien le lien de dépendance des pièces du dossier et la communauté de destin de ces documents.
Le groupe archivistique se construit autour de l’acte qui définit l’affaire (un contrat, une décision, un jugement), acte qui engage son auteur et qui délimite le périmètre du dossier. Les autres éléments documentaires, ascendants ou descendants de l’acte principal, collatéraux et amis très chers, s’agrègent tout au long de l’affaire, dans une relation d’interdépendance, pour créer solidairement le dossier de l’affaire avec le rôle bien précis d’expliquer et de justifier cette action pendant le temps qu’il sera nécessaire de le faire.
Au sein de la petite communauté que constitue le dossier solidaire, pas de discrimination liée à la conformation, la taille, le poids, le lieu de naissance ou la couleur de peau : feuille de papier glacé 170 gr imprimé en couleur, liasse de trois centimètres de papier recyclé agrafée et remplie d’une fine écriture manuscrite, bande son, ZIP de fichiers PDF et JPEG ou fichier numérique au format XML de 7 méga-octets…, toutes les formes sont admises puisque, comme le rappelle la loi, la valeur de l’information ne dépend pas de son support.
Le dossier solidaire engage toutes ses composantes dans un destin commun, que l’on appelle réglementairement et professionnellement la durée de conservation :
« Mes sœurs (les pièces), mes frères (les documents), restons unis, pour le pire ou pour le meilleur ! »
« C’est ensemble que nous irons ensemble au coffre (Fichet-Bauche ou Cecurity.com) ou à la déchiqueteuse ; envers et contre tout, nous resterons soudés ! »
« Notre feuille de route a prévu un voyage de dix ans et nous nous soutiendrons quoi qu’il arrive ; et si un événement imprévu nous obligeait à poursuivre la route dix années de plus, notre engagement tiendra bon et c’est ensemble que nous franchirons ensemble la ligne d’arrivée ! »
« Enfin si, d’aventure, nous étions appelés à franchir le portail prestigieux des archives historiques, nous le franchirions ensemble ! Vive la solidarité ! ».
A suivre
On garde donc tous les brouillons et étapes préparatoires aux originaux ?
Non, au contraire ! Le dossier solidaire regroupe les documents engageants et leurs satellites explicatifs ou justificatifs. Les brouillons et documents préparatoires ne sont concernés que s’ils jouent ce rôle justificatif, ce qui est loin d’être toujours le cas. L’idée du dossier solidaire est que les simples brouillons (dont le contenu est repris ailleurs), versions intermédiaires non validées, documentation de travail, etc., autrement dit les non records n’entrent jamais dans le dossier. C’est ça, le records management, et c’est très séduisant pour les gens qui sont allergiques au tri ou qui ont été victimes, comme moi, d’un over-tri…
Sérieusement, il y a une page que j’aime beaucoup sur la définition des « non records » :
http://www.colorado.gov/dpa/doit/archives/rm/schools/appa.htm
Merci de rendre le dossier solidaire en une fratrie si vivante et si joyeuse à imaginer. Je me resservirai aussi de cette image (ensemble, envers et contre tout) pour convaincre mes interlocuteurs de ne pas faire de tris internes dans leurs dossiers ! Ce fameux tri chronophage et finalement risqué que les archivistes proposent si souvent de faire et passent eux-mêmes tellement de temps à faire !
Ah, le tri, tout un poème ! Et le e-tri, une anthologie poétique…
Mais attention à ne pas se faire accuser de vouloir créer du chômage dans la profession d’ archivistes !