Ce billet fait partie du triplet Illusoire-Libératoire-Purgatoire

La conservation de tout sur tout est un mirage. On ne peut tout conserver, pas plus qu’on ne peut tout détruire.

La réglementation règle finalement peu de choses car elle est tantôt trop pointue et ne concerne que peu de monde (par exemple, l’alinéa II 1°) de l’article L110-4 du code de commerce : sont prescrites un an après la livraison toutes actions en paiement pour nourriture fournie aux matelots par l’ordre du capitaine), tantôt elle est très vague (la preuve est libre) et donne lieu à tous les scénarios possibles et imaginables.

La conservation, tout comme son pendant la destruction, est donc surtout une affaire de tempérament. Il y a les insouciants, les fébriles, les joueurs, les maniaques, les paranoïaques, les hypocondriaques…

Détruire des documents ou des données peut être  un crime (destruction délibérée de preuves) ou un simple geste de bon sens qui doit autant à la nature intrinsèque des éléments détruits qu’à la relation de responsabilité et d’affectivité que le sujet (vous, moi, celui ou celle qui détruit) entretient avec l’objet. Ce qu’on ne dit pas assez, c’est que la destruction de documents et de données est aussi un acte libératoire.

Face à destruction déléguée aux souris (au fond de la cave pour le papier, au bout de la main d’un gestionnaire d’un jour pour le numérique), comme alternative à la destruction hypocrite qui consiste à détourner le regard des problèmes croissants de gestion de volumes croissants et à refiler à d’autres la patate chaude, à l’opposé de la non destruction craintive et soumise, l’acte délibéré de destruction libère…

La destruction consciente et assumée de documents ou de données est un acte qui libère :

  • du souci de gérer des masses informes ou de léguer à ses successeurs le soin de les gérer à sa place ;
  • de la confusion du magma mémoriel ; la jungle des données où on ne voit plus l’astre solaire ni le nord, où on se heurte à des lianes numériques à chaque pas, où on est abasourdi par le bruit de l’information permanente ;
  • de la pesanteur de l’hier et de l’avant-hier ; quand le passé est trop prégnant, au point d’entraver le progrès, il est opportun de jeter du lest.

La destruction à bon escient documents ou de données libère car elle procure de la sérénité, de la clarté, de la légèreté.

Il y a de nombreux objets que l’on empile par négligence et que l’on conserve par sentimentalisme. Les documents au fond, c’est comme les chaussettes : on les entasse au fil des ans dans des placards, on en acquiert de nouvelles et on remise les autres au fond du tiroir en se disant qu’on s’en resservira sûrement, on se rassure à l’idée qu’on pourra s’en resservir ; on aime savoir qu’elles sont là : les chaussettes d’enfant tricotées par la grand-mère, les chaussettes de ski le jour d’une chute mémorable, les chaussettes rose fluo, cadeau qu’on a jamais osé porter, les chaussettes préférées dont l’élastique a rendu l’âme, et tant d’autres.

On finit par s’habituer à leur présence comme à leur inutilité. Mais ne faut-il pas de temps à autre ouvrir la cage et laisser les chaussettes s’envoler ?

Un problème cependant : c’est toujours le lendemain du jour où l’on a jeté quelque chose que l’on en a besoin et qu’on regrette son geste. Comment faire ? Suggestion : revenez lundi prochain.

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