Quelques pays d’Afrique, les États-Unis, la Chine et la France ont récemment réduit en poudre leur stock d’ivoire de contrebande. Plusieurs dizaines de tonnes de défenses d’éléphants prélevées aussi bien sur des animaux morts que vivants…
C’est un acte politique et mondial. L’ensemble des Nations a pris position contre le trafic d’ivoire (en recrudescence, ce serait le trafic le plus rémunérateur après celui de la drogue… ) et le massacre qu’il induit (la population des éléphants d’Afrique aurait diminué de moitié depuis 1980). Pour la Chine toutefois, c’est plus un geste de politique internationale qu’un engagement écologique car l’empire du milieu (de quel milieu finalement ?) abrite 70% des clients dudit trafic, mais le résultat est là : l’ivoire a été détruite.
En France, la « destruction par concassage », pour reprendre la formule officielle, a eu lieu le 6 février dernier sur le Champ-de-Mars, portant sur plus de trois tonnes d’ivoire brut ou déjà travaillé, saisies par les douanes françaises au cours de ces vingt dernières années. Ce fut un événement officiel et médiatisé. Le but n’était pas de détruire mais de le faire savoir aux trafiquants voire à leurs clients, d’être dissuasif. Nicolas Hulot, présent lors de cet événement, a notamment déclaré : « Nous disons par ce geste que l’ivoire n’a plus de valeur ».
Cette nouvelle, plus que d’autres qui font plus de bruit, plus de morts, plus de souffrances et auxquelles les médias nous habituent hélas, m’a impressionnée. J’y vois une rupture culturelle formidable, au sens premier du terme (qui fait se dresser les cheveux sur la tête). Ce n’est pas la mesure politique qui me frappe car le contexte l’appelait sans doute ; je suppose que des experts ont scientifiquement démontré qu’il n’y avait plus d’autre alternative pour mettre un terme au trafic délétère. Ce qui me touche, c’est la sentence de Nicolas Hulot si je la recontextualise en pensant aux millénaires d’artistes d’Orient et de l’Occident chrétien qui ont ciselé des milliers d’objets aussi expressifs que gracieux. Pourra-t-on désormais caresser de la main une pièce d’échec en ivoire ou caresser des yeux les plaques de reliure du psautier de Dagulf au Louvre sans se sentir coupable ?
On peut comprendre le geste politique d’aujourd’hui ; au regard de l’histoire des civilisations, c’est un point de non retour.
Cependant, si la mesure s’avère efficace, cela pourrait donner des idées pour lutter collectivement contre d’autres comportements illégaux et irrespectueux des êtres vivants. Par exemple, pour dissuader les « grands hébergeurs », les GAFA (Google Amazon Facebook Apple) et autres NSA d’une utilisation outrancière et dommageable des données personnelles, des gouvernements pourraient décider d’escrabouiller d’un grand coup de marteau les serveurs fautifs situés sur leur territoire. Dans cette opération mondiale, si elle était entreprise, les États-Unis seraient dans la situation de la Chine pour l’ivoire, c’est-à-dire le pays le plus concerné et le moins désireux de la mesure mais qui pourrait y venir sous l’influence du reste du monde. On n’en est pas encore là mais qui sait ce que nous réserve l’avenir ?
Pour revenir au sort des éléphants, l’impact des destructions sera-t-il à la hauteur du sacrifice ? Décourager les trafiquants est une chose, mais les trafiquants ne prospèreraient pas s’ils n’avaient pas de clients qui sont prêts à payer. La demande crée l’offre. Que les rognons blancs (éburnéens ?) de pachyderme viennent à la mode chez d’extrémistes et richissimes gastronomes, et voilà l’espèce de nouveau menacée d’extinction, les éléphants se trouvant peu à peu émasculés, je veux dire éburnés…