J’ai évoqué la semaine dernière, à propos des épinards, le rôle de la virgule dans la formulation des nombres, la virgule séparant les nombres entiers des centièmes, avec des conséquences étonnantes quand on place la virgule au mauvais endroit…
Plus largement, la virgule sert à isoler dans une phrase un adjectif, un adverbe ou une proposition qualificative afin d’indiquer à quoi se rapporte ce qualificatif et de lever ainsi toute ambiguïté du discours. La virgule est d’abord au service de l’expression juste, expression écrite bien sûr, mais on peut à l’oral faire entendre la virgule par une pause. Jacques Drillon, auteur d’un Traité de la ponctuation française (1991) écrit : « De tous les signes de ponctuation, la virgule est le plus intéressant (à l’usage comme à l’analyse), le plus subtil, le plus varié ».
La virgule la plus célèbre se trouve sans doute dans cette réplique de Jésus (Luc 23, 43, traduction Segond) : « Je te le dis en vérité, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis. » La virgule, placée à cet endroit et non un mot plus loin, évite de comprendre : « Je te le dis en vérité aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis » qui peut s’interpréter très différemment en termes de planning car l’adverbe de temps (aujourd’hui) se rattache dans la seconde version au jour où Jésus parle et non au jour de l’entrée dans le royaume des Cieux. C’est par cet exemple qu’un de mes professeurs de collège, par ailleurs mécréant, m’a sensibilisée naguère à la valeur de la virgule.
Les illustrations sont nombreuses, y compris dans le monde de l’information et de l’archivage.
Le fichier a été transféré dans le système d’archivage, sécurisé et qualifié. La virgule indique que c’est le fichier qui a été sécurisé et non le système d’archivage qui est sécurisé. Le fichier a subi trois opérations : le transfert, la sécurisation (par un scellement par exemple) et la qualification. Si on enlève la virgule (le fichier a été transféré dans le système d’archivage sécurisé et qualifié), on n’a plus que deux opérations : le transfert et la qualification (ajout de métadonnées) ; pas besoin de le sécuriser puisque le système d’archivage, lui, l’est.
Les archives dépourvues d’intérêt doivent être détruites. Voilà une préconisation de bon sens qui vise un sous-ensemble des archives, caractérisé par cette absence ou perte d’intérêt (même si on peut discuter sur la subjectivité de cet intérêt). Mais si la phrase comportait deux virgules ainsi placées : les archives, dépourvues d’intérêt, doivent être détruites, on pourrait comprendre que les archives, qui sont toutes par nature dépourvues d’intérêt, doivent être détruites, du seul fait de leur statut d’archives, ce qui est hélas l’idée que ce font certaines personnes ignorantes et qui confondent archives et vieux machins.
Autre exemple, si un commercial, paraphrasant le Christ, vous dit : « Vraiment, je vous le dis, aujourd’hui votre système d’archivage fonctionnera de manière paradisiaque », vous serez prudent en comprenant : « Vraiment, je vous le dis aujourd’hui – virgule – votre système d’archivage fonctionnera de manière paradisiaque », un jour peut-être si vous vous attelez à identifier les bons documents à conserver, à les doter des bonnes règles et à les gérer dans le meilleur outil.
Quand vous rédigez un contrat ou, plus fréquemment sans doute, un mail qui vous engage, faites attention aux virgules et à ce que vous leur faites dire !
Ça me rappelle cette histoire bien connue :
L’instituteur, lors d’une visite du maire à l’école communale, explique aux enfants l’importance de la ponctuation. Le maire, un peu goguenard, lui demande s’il n’exagère pas un peu l’importance de ce détail. Et l’instituteur de dicter cette phrase : «Le maire dit l’instituteur est un imbécile.» Puis il demande aux élèves de ponctuer. Enfin, il montre au maire deux exemples choisis.
1) Le maire dit : l’instituteur est un imbécile.
2) Le maire, dit l’instituteur, est un imbécile.
Merci pour cet exemple. La ponctuation est un détail, bien sûr, un détail essentiel, en tous cas un avantage de celui qui la maîtrise sur celui que ne la maîtrise pas.