Le temps se raccourcit.
Les mémoires informatiques sont de plus en plus puissantes, et celles des individus de plus en plus plates, étendues mais peu profondes. On observe un phénomène de vases communicants entre les volumes d’informations qui augmentent prodigieusement et le mode de sédimentation de ces informations dans la mémoire des individus ; plus on est abreuvé de données et plus on à de mal à les tamiser, à les capitaliser, à se repérer dans une mémoire collective.
L’information se déverse à une telle vitesse qu’elle ruisselle, s’étale, sans avoir le temps de se fixer durablement dans les esprits, comme une pluie d’orage sur une terre asséchée, n’affectant que la surface. En conséquence, la mémoire qu’on associait autrefois à l’image d’une racine s’apparente aujourd’hui à celle d’un nénuphar :
Ce phénomène induit une nouvelle perception du temps, qui transparaît dans une tournure linguistique de plus en plus répandue dans les médias, du fait des journalistes ou de ceux qu’ils interrogent, significative d’une nouvelle perception du temps : « On n’a jamais vu ça depuis deux ans ! » ou « Du jamais vu depuis dix ans ! », à propos de la météo, d’une victoire sportive ou d’un bouchon sur l’autoroute.
Naguère et jadis, on aurait dit : « On n’a jamais vu cela » tout court, ou « … de mémoire de Bourguignon », ou « … d’aussi loin qu’il me souvienne ». Ou alors, on aurait dit simplement : « On n’avait pas vu cela depuis dix ans ». La locution « ne… jamais » aurait donc tendance à prendre le sens de « ne… pas ». Pourquoi pas ? La langue évolue, c’est la preuve qu’elle est vivante. Mais justement, c’est là un indice d’évolution de la dimension temporelle de la mémoire. Il semble que le monde numérique, par sa surabondance, sa course à la nouveauté, à une pseudo-actualité, écrase la mémoire humaine, la déracine doucement, et la rend ainsi plus vulnérable car coupée de ses fondations.
Il serait utile de compenser ce glissement, induit par l’environnement technologique, par une démarche volontariste de ré-ancrage de la mémoire dans un passé mieux perçu, mieux discerné, mieux évalué. Cela passe par l’éducation à la critique et à l’archivage raisonné.
Voir la Journée FULBi du 21 janvier 2010
« Je me souviens…. de l’Internet. Traces et mémoires du numérique. »
http://www.fulbi.fr/?q=content/2010
C’est la quintessence de l’analyse de la situation actuelle de la manipulation de notre mémoire. En plus vous nous livrez la solution ! MERCI
très bonne anlayse de l’évolution du rapport au temps. Bravo pour ce blog très intéressant, et notamment pour le portrait très réussi !
Je me suis régalé ! Cela illustre aussi ce que nous avons échangé à propos de la Communication et de l’Information.
Bel article ! Encore ! Encore ! On est préssés de lire la suite.
Philippe