Sommes nous réellement menacés d’infobésité ?
Infobésité est un mot-valise, forgé en 1995, pour traduire l’anglais information overload,expression remontant aux années 1970 ; on dit aussi sur-information ou surcharge d’information, expressions plus molles mais aussi plus exactes. En effet, « infobésité » suggère l’ingestion par le sujet d’une quantité excessive d’informations qu’il ne parvient pas à digérer et à éliminer, faisant alors de la rétention d’information (au sens médical du terme), au détriment de son agilité intellectuelle et de son confort documentaire. Or, l’idée initiale est que le sujet, dans cette société de l’information, de la consommation et autres sommations numériques, est environné, entouré, surplombé de trop de données pour pouvoir les ingérer correctement.
Il serait donc plus précis de distinguer et d’analyser séparément les deux concepts sous-jacents :
- l’inforrhée : il pleut des informations comme vache qui pisse, le ruissellement provoquant des torrents et des inondations ; l’inforrhée galope ; le dérèglement du climat informationnel provoque le tsunami numérique ;
- l’inforésistibilité : on subit la pluie de plein fouet et, soit on se laisse transpercer jusqu’à l’os, soit on se protège de l’humidité grandissante grâce à un auvent (naturel ou fabriqué), un parapluie (divers modèles en magasin), un vêtement de pluie voire un onguent approprié, sans parler des pompes, de l’écope, du sèche-cheveux, etc.
L’humain oscille toujours entre le désir d’avoir toujours plus (peur de manquer, de rater quelque chose) et la volonté de rester maître de ses mouvements et de ses pensées. La relation entre l’individu, l’information sollicitée ou non, et les outils qui permettent de la gérer, de l’ingérer ou de l’éliminer reste à peu près la même quelle que soit la masse d’informations ; c’est une question d’acclimatation et d’organisation. Et de volonté… Sur le plan collectif comme sur le plan individuel.
Les solutions sont multiples, depuis des principes l’hygiène minimale, tels que le stoppage des flux superflus et la vidange des trop pleins de demi-infos, jusqu’aux outils de tri et de classement automatique (mais résolvent-ils vraiment la question ?), en passant par la diététique informationnelle, le RMI ou Refus Méthodique d’Information de Pascal Frion, la suppression des messageries électroniques comme le proposait Thierry Breton, président d’Atos, il y a six mois (illusoire si c’est pour déplacer le problème vers un autre outil) voire des remèdes plus radicaux comme celui de taxer l’expéditeur des mails (ça, c’est intéressant)…
L’infobésité proprement dite est finalement un phénomène très relatif.
Tout est relatif, comme disait Einstein. Au fait, Frank ou Albert ? Blague de potache, sauf que dans le contexte, ici, on voit bien le risque : un Frankenstein d’informations qui vous enserre inexorablement dans ses griffes mortifères, qui vous étouffe par ses exhalaisons fétides, qui vous injecte son venin par tous les pores de la peau…
Mais on n’est pas obligé de se faire du cinéma. Désolée Frank, merci Albert !
L’outil informatique souffre d’infobésité parce que l’utilisateur n’a que deux choix: « Voulez-vous vraiment supprimer? » ou entasser. Pourtant nos 5 sens enregistrent constamment des flux d’informations, nous ne gardons pas en mémoire toutes ces informations. Comment fait-on pour les archiver? Dans ma tête, je ne suis pas obligé de « Enregistrer sous… » les épisodes de ma vie, ni de leurs donner un titre, pour les retrouver et les organiser. Je n’ai ni à supprimer définitivement ni à ranger les informations qui ne me sont plus utiles maintenant, ni même à me demander si elles me seront utiles plus tard. Quelles facultés manque-t-il à l’outil informatique pour lui donner un peu de notre savoir-faire en matière de traitement de l’information?
La première faculté est la gestion du temps. Aucun des modèles de données existants (relationel, objet, XML, RDF, …), qui servent à structurer l’information pour la traiter, ne tient compte du temps, alors que tout ce qui nous entoure a une validité temporelle, même Steve Jobs, malheureusement. L’outil informatique est handicapé de ne pouvoir « oublier » et de « se rappeler » comme nous en sommes capables. Sur le web on navigue verticalement, toute l’info est là, qui s’entasse. Dans notre tête, on navigue aussi horizontalement, dans le temps. En une fraction de seconde, je me retrouve 20 ans plus tôt, je recueille quelques infos connectées, je les rappelle maintenant, je les traite, et je les oublie.
La deuxième faculté est la capacité de connexion. L’outil informatique segmente les informations. Seules les connexions prévues par les ingénieurs sont possibles. Mais fondamentalement, la cause vient également des modèles de données utilisés.
Merci pour la justesse de votre témoignage. La temporalité est un concept clé, sous le patronage duquel j’ai voulu lancer ce blog. Sur la relation entre l’homme et la machine, il y a assurément des progrès à faire. Une question: est-ce l’outil qui souffre d’infobésité ou est-ce l’utilisateur?
« taxer l’expéditeur des mails « : et pourquoi pas publier le palmarès mensuel des producteurs de Giga-octets en entreprise? Le gagnant serait ensuite étalonné au regard de sa production et de son efficacité réelle dans son job. Le ratio serait surprenant et redouté par beaucoup!!
Sur internet, et notamment sur twitter, il m’est venu le concept d’infognasse.
C’est l’équivalent informationnel de la ragougnasse : lourd, copieux, industriel et répétitif, baignant dans une sauce indigeste, cela ne demande ni grande expertise, ni beaucoup de temps à produire… mais on peut y trouver quelques excellents morceaux!
Bravo pour ce blog et ses utiles réflexions.
C’est bien vrai, surtout la sauce; il faut se méfier de la sauce, de cette infosauce qu’on trouve dans les fastinfos (les prêts-à-informer) au milieu des infoburgers (infodwichs), lesquels ont aussi leur côté sympathique.