La « numérité » désigne l’état, la qualité des documents nativement numériques, c’est-à-dire conçus et validés par des systèmes informatiques, par opposition à la qualité, l’état des documents numérisés, c’est-à-dire conçus bien souvent à l’aide de la technologie, mais validés, donc créés comme originaux, sous forme papier, avant d’être numérisés, soit dans la plupart des cas scannés. Le concept de numérité vise donc principalement les documents dits bureautiques (courriers, rapports, comptes rendus…) pour lesquels le passage du papier au tout numérique prend son temps, même après la reconnaissance juridique de l’écrit électronique en 2000.
Le mot, nous disent les Infostratèges, a été forgé par Marie-Anne Chabin, en 2000 comme l’indique une autre source d’Internet… Numérité est plus explicite que « numéricité », terme de construction plus régulière, mais ambigu à cause de sa signification mathématique ou proprement informatique.
Une constante dans l’histoire des techniques et des technologies est que leur plein usage passe par une période d’adaptation, le progrès étant généralement d’ordre culturel plus que d’apprentissage de la technique. La technologie numérique native n’échappe pas à la règle et l’observation des pratiques met en évidence une analogique curieuse entre l’appropriation du numérique natif dans les bureaux et l’introduction de la fourchette en Occident au début du XIVe siècle.
1. Un banquet à la cour du roi de France à la fin du XIVe siècle : le premier exemplaire de cet instrument métallique à dents destiné à piquer la nourriture pour éviter d’y mettre la main (température, aspect pratique) est arrivé en France en 1315 avec la reine Clémence de Hongrie mais son usage se diffuse très lentement et l’habitude de manger avec « la fourchette du père Adam » perdure ; la phase intermédiaire correspond à la scène où un convive, fort de posséder et de savoir se servir de sa fourchette, désireux d’épater l’assistance, tend l’instrument au-dessus du plat, harponne un morceau de viande, le rapatrie au-dessus de son assiette, fait une pause pour laisser à son entourage le temps d’apprécier son geste et, satisfait, oubliant la fourchette (chassez le naturel…), saisit le morceau de viande à pleines mains, pour le découper à pleines dents !
2. Des bureaux de travail et un secrétariat au début du XXIe siècle : le courrier papier entrant et sortant se raréfie au fur et à mesure de l’implantation des outils numériques : ordinateurs individuels équipés de logiciels bureautiques sophistiqués pour la production des documents, messagerie électronique par laquelle transite l’essentiel de l’information échangée, outils collaboratifs, Intranet, mais aussi, pour la gestion, outils de sauvegarde, outil de gestion électronique de document et système d’archivage. Cependant, les habitudes de manipulation du papier s’accrochent et s’immiscent dans la moindre faille. Les mails arrivent, sous forme électronique, mais on les imprime souvent (ce ne serait pas nécessaire mais on ne sait jamais…) ; le papier est là et s’impose au détriment du fichier numérique laissé à son triste sort. Ah ! tous ces dossiers papier qui nous encombrent et qu’il faut « archiver »… Mais, fi du papier ! Aujourd’hui, on est moderne, on archive électroniquement, c’est si simple : on prend les mails imprimés et…. on les scanne… avec autant de conscience que le seigneur pique la viande avec sa fourchette puis abandonne son bel outil au milieu de son geste.
La phase d’adaptation à la numérité est incontournable mais on pourrait la raccourcir, d’une part en sensibilisant davantage les collaborateurs à la notion de cycle de vie des documents numériques natifs, d’autre part en exigeant des outils plus efficaces pour l’archivage électronique (dans des fourchettes de prix attractives, bien sûr !).
A quelques jours du Salon Document Numérique au CNIT, c’est une bonne question, non ?
Quand adaptation à la numérité rime avec aberrité euh non aberration. Prenons l’exemple de la banque. Lors d’un conférence sur le développement durable en janvier 2011, j’apprends que 80% du coût carbone d’une banque est dans la production de papier. Je me dit alors : « Mais comment, ne font-ils pas tout sur informatique ? ». J’ai eu ma réponse deux mois après en contractant un prêt bancaire : alors que toutes les informations nécéssaires à l’établissement du contrat étaient saisies informatiquement, le tout était imprimé en deux voire trois exemplaires pour signature dont 1 exemplaire qui était ensuite scanner pour la base de données clients ? N’y a-t-il pas une étape en trop ? N’y a-t-il pas moyen de générer plus d’efficacité avec les technologies numériques ? Pour rejoindre l’interrogation de MAC, une conférence sur le sujet serait la bienvenue au Salon Document numérique, mais peut-être est-elle prévue ?