La loi n’est pas rétroactive, d’accord. C’est écrit dans le Code civil. Encore faut-il bien distinguer ce sur quoi porte la loi, et ne pas confondre un fait, qui est daté, et l’état d’une chose, qui perdure et peut donc rester d’actualité.
Imaginons une loi de 2010 qui stipule que voler un œuf est passible d’emprisonnement (un œuf de Fabergé, pas un œuf de caille !) et que la détention d’œufs dont la provenance n’est pas clairement établie vous expose à une forte amende. Si vous avez volé un œuf en 2009 (à supposer qu’à l’époque ce n’était pas répréhensible), vous ne risquez rien car la loi n’est pas rétroactive mais si en 2011 vous êtes en possession d’œufs de provenance douteuse, quelle que soit la date à laquelle vous les ayez acquis, vous seriez sans doute bien inspiré de vous en débarrasser.
L’âge des archives n’est pas un fait mais un état qui évolue chaque jour ; les dispositions réglementaires relatives à la durée de conservation des documents (à distinguer du délai de prescription des faits) visent donc tous les documents qui existent à la date de ladite réglementation. Comment justifier de ne les appliquer qu’aux documents créés après la nouvelle réglementation ?
Les dossiers médicaux fournissent un bon exemple de ce cas de figure. Un règlement de 1968 fixait des durées de conservation variées selon les types de document, en résumé : conservation de 70 ans pour les dossiers médicaux relatifs à des maladies graves et de 20 ans pour les dossiers médicaux relatifs à des maladies bénignes. Mais, au XXIe siècle, qui ose affirmer que telle maladie est bénigne ou grave ? À la faveur des questions de responsabilité posées par l’hébergement chez des tiers de données médicales (merci au passage au numérique quand il dope la réglementation !), un décret de janvier 2006, modifiant le code de la santé publique, fixe de nouvelles durées de conservation pour les « données médicales hébergées » : les dossiers médicaux sont conservés pendant 20 ans à compter du dernier passage du patient dans l’établissement hospitalier, avec des aménagements à la hausse ou à la baisse pour les cas particuliers (mineur, décès…). En réalité le texte vise tous dossiers médicaux (papier et numériques), conformément à la définition légale des archives qui transcende le support. Il est précisé que ces nouvelles durées ne seront applicables qu’un an après la publication du décret, soit à partir de janvier 2007.
La question de la rétroactivité de ces dispositions a été posée à l’époque dans des forums par des responsables d’archives (des centaines de kilomètres linéaires de dossiers médicaux papier, des téraoctets de données et d’images médicales à la clé…) mais les réponses qui y ont été faites restent assez floues, suggérant que la question est mal formulée. L’instruction interministérielle d’application du décret, datée d’août 2007, est très claire, sauf sur ce point… Il y est dit que les dispositions sont applicables à compter du 5 janvier 2007 dans les mêmes conditions à tous les dossiers médicaux, « y compris ceux ouverts avant cette date ». Les dossiers médicaux fermés avant cette date (des millions) ont forcément été ouverts encore avant…, mais le flou de la formulation entretient un doute inutile. La revue de ce qui est accessible sur Internet à ce sujet laisse dubitatif sur la compréhension et l’application de ce décret cinq ans après sa parution.
Retour aux œufs. Si la loi dit le 1er octobre 2011 : « les œufs (de poule, d’autruche…) de plus de trois mois doivent être détruits car ils sont pourris, cela s’applique aux œufs pondus le 30 juin 2011 mais aussi à tous les œufs pondus avant cette date, et ce depuis…
Cela dit, si vous êtes Chinois, cuisinier ou gastronome, vous connaissez la saveur des œufs de mille ans et vous savez qu’il faut faire une exception !
Pour m’être penchée sur la question des dossiers médicaux, je croyais aussi avoir à faire à un véritable casse-tête chinois (les Chinois sont décidément très présents dans cette affaire) ! Mais ce qui me paraît essentiel finalement c’est que l’établissement de santé ou toute autre institution/entreprise, au delà de la prise en compte nécessaire des obligations réglementaires, prenne en compte ses propres besoins et mesure ses risques à conserver ou détruire les dossiers. En résumé qu’il prenne position sur ses responsabilités pour qu’elles deviennent règles communes (les exceptions son acceptées) et fassent sens.
Tout à fait d’accord sur la conclusion: c’est une affaire de responsabilité et de risques. Mais des textes de référence plus clairs ne nuiraient pas à la manoeuvre. Dans ce domaine, ne pas prendre de risque se résume souvent à ne pas évaluer le risque, et à ne pas casser d’oeufs. Ceci dit, si on casse des oeufs pour faire de l’omelette documentaire…