La consubstantialité est un de ces mots (voir aussi Nativité) qui se rattachent essentiellement au domaine religieux ou théologique alors qu’ils se révèlent morphologiquement pertinents pour d’autres domaines de la connaissance, et notamment le monde documentaire.
La notion est formalisée par le premier concile de Nicée en 325, qui introduit le principe de consubstantialité du Père et du Fils : le Père et le Fils partagent la même nature, la même essence.
L’usage profane ce mot est assez rare (17 lettres, ça pèse…) mais il est aussi le plus souvent utilisé dans l’expression « X est consubstantiel de Y » dans le sens « X participe de Y » ou encore « X est indissociable de Y », ce qui n’est pas tout à fait le sens originel de « X et Y sont de même nature » ; par exemple dans les phrases : « le mensonge est consubstantiel de la politique » (blog de contribuables) ou « … la numérisation […] tend à mettre en question la consubstantialité [de l’œuvre] avec la texture matérielle de son support en laquelle résidait sa teneur » (article d’Isabelle Rieusset sur le numérique).
Pour revenir aux documents, aux écrits, aux dessins, aux photos ou aux films, il est frappant de voir à quel point des documents distincts semblent faits de la même substance, semblent sortir de la même veine, être constitués de la même matière originelle, de la même façon qu’un coupon de tissu va se transformer en divers vêtements distincts aux formes et aux finalités distinctes.
Cela n’a rien à voir avec le copié-collé qui n’est qu’une décalcomanie plus ou moins bien dissimulée. Il ne s’agit pas non plus du style propre à un auteur ou un artiste. Cela renvoie à la même atmosphère, aux mêmes convictions, au même vécu, qui se dégagent d’un faisceau de documents indépendants, par exemple les dossiers des collaborateurs et adeptes d’un chef charismatique, ou le corpus des cartes postales des poilus de la Grande Guerre, quels que soient les soldats.
Or, comme le numérique provoque une dissémination (sens français et non anglais) de la substance exprimée par l’homme au travers de l’écrit et de l’image, il accélère les influences, l’interpénétration des idées et des expressions, l’intertextualité. En conséquence, le numérique favorise la production de documents consubstantiels, de manière bien plus étendue que ne peut le faire un outil collaboratif d’édition multi-supports tel que le logiciel libre Substance.
On voit cette substance essentielle, ou plutôt cette essence substantielle, poindre dans les réclamations des e-clients, dans les jeux télévisés ou encore dans les commentaires de blogs. C’est pourquoi il ne serait pas incongru d’envisager la consubstantialité documentaire comme critère d’analyse archivistique pour la sélection de la mémoire patrimoniale. Non ?
Cet article me suggère des questionnements plus Terre que Ciel (ai-je bien tout compris ?). Est-ce que la consubstantialité (fichtre, 17 lettres !), c’est rechercher l’analogie de ce qui fait la substance des documents ? Est-ce que cette démarche » d’envisager la consubstantialité documentaire comme critère d’analyse archivistique pour la sélection de la mémoire patrimoniale » revient à pratiquer une sorte de rapprochement basé sur le contenu comme le font les documentalistes (une sélection par le contenu) ou, mieux encore, à faire un rapprochement basé sur la valeur des documents : contenu + responsabilité. Dans ce cas, est-ce que son champ d’application ne va pas au-delà de la sélection pour la mémoire patrimoniale.
Eh bien, le but était de faire réagir, donc ça marche 😉
Sur le fond, il me semble que ce constat de consubstantialité documentaire est une alternative intéressante à l’échantillonnage archivistique pour certains types de « traces », notamment pour les écrits (ou les images) qui témoignent des comportements ou des mentalités. Ce n’est pas une sélection basée sur le contenu (au sens du thème) mais sur la « substance » (au sens de ce que les documents traduisent comme état d’esprit, ce qui est essentiel, l’essentiel n’étant pas toujours ce qui est exprimé dans les mots…).
C’est un petit développement de ma réflexion sur la « représentativité » (16 lettres seulement !) des documents sélectionnés à titre d’archives historiques que j’avais exposée dans Archiver et après ? (en ligne ici). Il y a bien d’autres choses à dire sûrement.