Il n’est pas rare dans l’archivage de confondre solidarité et promiscuité.
En cause, ce réflexe conditionné (par des siècles de pratiques papières ou par quelques décennies de dérégulation de l’information ?) de considérer que tous les documents ou toutes les informations qui se trouvent physiquement à un certain moment au même endroit ont la même valeur. On met n’importe quoi dans une boîte d’archives et on n’ose plus y toucher, on promène tout du bureau au couloir, du couloir à la cave et de la cave au centre d’archives sans oser remettre en cause le contenu qu’on promène. Pour les serveurs partagés de documents numériques, c’est encore pire. On grave tout en détournant le regard, pudiquement, comme si c’était honteux de regarder de plus près ce qui s’empile dans les répertoires ou dans un cédérom, comme si cette promiscuité documentaire était inéluctable ! Ou alors, il faudrait y voir une contribution, plus ou moins consciente mais assurément généreuse, à la constitution des masses qu’affronteront goulument, demain et après-demain, les nombreux adeptes du dieu TRI…
L’archivage n’est que le prolongement du classement. Si on archive promiscuitement, c’est parce qu’on classe de la même manière, sans tenir compte du caractère solidaire des éléments à classer, sans prendre en compte leur destin.
Les factures de téléphone sont à cet égard un cas intéressant : que l’envoi de la facture se fasse par La Poste ou par Internet, le détail des consommations, autrement dit le détail des numéros appelés, improprement appelé « fadette » pour « facture détaillée » (incise pour les Berrichons: George Sand doit se retourner dans sa tombe ! Pour les non Berrichons: cliquez là), donc le détail des numéros se trouve joint à la facture proprement dite (avec la somme à payer). Et de ce fait, les gens (particuliers, agents administratifs…) n’osent pas les dissocier, comme si une puissance supérieure imposait de laisser unis ces écrits qui l’ont été momentanément. Pourtant, si la facture est bien un document comptable que l’on conserve généralement dix ans, le relevé des consommations, lui, a une valeur de réclamation pendant un an (voir le code des Télécoms) et il est préférable de ne pas conserver plus longtemps ces données pour éviter leur mésutilisation lors d’une enquête administrative ou judiciaire…
Curieusement, ce manque de clairvoyance ne concerne guère que le monde de l’écrit. On n’aurait pas idée de penser que toutes les personnes qui se côtoient à un instant T dans un bus ont une communauté de destin. Cela peut arriver s’il s’agit d’un autocar d’un tour-opérateur qui transporte les membres d’un groupe constitué et interdépendant dans le déroulement du voyage selon un programme préétabli et validé, mais sur une ligne interurbaine, les probabilités sont infimes : les uns vont travailler, d’autres ont rendez-vous avec leur dentiste, d’autres encore se promènent ou reviennent du marché.
Justement, quand vous rentrez du marché, avec un panier garni de produits divers et variés, allez-vous, au motif de cette promiscuité ponctuelle au sein de votre panier, les ranger spontanément au même endroit ? Une personne normalement constituée rangera le beurre et les œufs dans le réfrigérateur, le pain frais sur la table de repas, le fromage de chèvre sous la cloche à fromages, le sirop d’érable dans le placard, le bouquet de basilic dans un verre d’eau, la viande rouge également dans le frigo, le saucisson d’Auvergne dans le garde-manger et les fleurs dans le salon…
Dans tous ces exemples, c’est bien la question de la valeur intrinsèque et de la destinée de chacun et, le cas échéant, de la destinée commune consentie qui joue, et non la proximité physique. Pourquoi pas pour l’archivage ?
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