Auteur invité cette semaine: Claire Scopsi

Les ex aequo sont à la compétition sportive, ce que la section « divers » est à un plan de classement : l’aveu d’une impuissance, le renoncement à l’ordonnancement absolu.

Toutes les fédérations sportives déploient des trésors d’imagination pour repousser les limites de l’ex aequo : tirs au but, lancers francs, « mort subite », shido et waza ari, tie break, chronomètres électroniques de plus en plus perfectionnés.

Le 2 août dernier, lors de la finale olympique du concours général, la gymnaste américaine Aly Raisman se trouva troisième ex aequo avec la gymnaste Russe Aliya Mustafina chacune ayant mérité 59,566 points exactement.

-Et elles ont reçu toutes les deux une médaille de bronze ?

Et non, car le règlement de la fédération internationale de gymnastique n’accepte pas les ex aequo, mais l’égalité est têtue et la belle rigueur du podium à trois places cache parfois une certaine poétique règlementaire.

L’intraitable règlement prévoit donc qu’on retire la note la plus basse et qu’on additionne les trois restantes pour recalculer la note.

-Et si elles sont encore ex-aequo ?

On retire les deux notes les plus basses et on recalcule.

-Et si elles sont encore ex-aequo ?

On prend les trois meilleures notes d’exécution aux agrès et on recalcule.

-Et si elles sont encore ex-aequo ?

On prend les trois meilleures notes de degré de difficulté et on recalcule.

-Et si elles sont encore ex-aequo ?

On ne prend que les deux meilleures notes de degré de difficulté et on recalcule.

-Et si…

On les teste au lancer du poids.

-Et c’est toujours comme ça ?

Non. Certaines compétitions tolèrent les  ex aequo, ce qui occasionne d’attendrissantes photos de sportifs enlacés brandissant à la caméra leurs médailles jumelles et de belles  proclamations de fraternité (une aubaine pour les journalistes). Et si le bonheur résidait dans le refus du « tie breaking »?

-…

Dis…

-Oui ?

On ne met JAMAIS de tiret entre ex et aequo.

Inspiré par :
Pourquoi une gymnaste arrivée troisième n’a pas obtenu la médaille de bronze ? Justin Peters,Traduit par Pauline Moullot.Slate.fr 3/08/2012 http://www.slate.fr/life/60201/pourquoi-gymnaste-troiseme-bronze
Technical regulation-Olympic Games-Tie breaking 2012, FIG http://www.fig-docs.com/Media/London/Tie%20break-OG-2012.pdf
Larousse en ligne,  item ex aequo http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ex_%C3%A6quo/31923/difficulte
 
et:

MAC, in petto :

La sentence de Claire Scopsi m’impressionne : « Les ex aequo sont à la compétition sportive, ce que la section « divers » est à un plan de classement : l’aveu d’une impuissance, le renoncement à l’ordonnancement absolu. » La phrase sonne juste. Pourtant, j’ai envie de prendre la défense du « divers ».

L’ordonnancement hiérarchique est à la fois un besoin technique et une aspiration humaine.

Le monde du sport aujourd’hui tend à réduire le sport à la compétition et exalte le classement hiérarchique. Les spectateurs réclament des premiers et des derniers pour pouvoir leur adresser leur « Hourra » et leur « Ouh ». Les ex aequo viennent donc perturber cette hiérarchie absolue, avec des causes diverses : il y a les ex aequo politiquement corrects, les ex aequo par défaut de critères d’évaluation ou en raison de la taille de l’épreuve (il y a plus de chances d’avoir des ex aequo lors d’un 100 mètres que lors d’un marathon) et les ex aequo par paresse du jury. Quand on ne sait pas ou qu’on ne veut pas départager les candidats, on les déclare ex aequo.

Dans le monde de l’information, toute personne qui produit ou gère des documents, a fortiori les professionnels de l’information, se trouve régulièrement dans la position du jury qui doit prononcer un classement : « Est-ce que ça va dans la rubrique B ? Ou plutôt F3, non ? Ou alors G8… Non, j’ai bien envie de le classer en T439 ; mais ça irait aussi en ZZ38776623. Bon, allez, je le mets en « divers ».

Ah, les affres du classement ! Enfin, pas pour tout le monde car il y en a beaucoup qui s’en fichent, la preuve, c’est que dans les serveurs des entreprises, la moitié des documents sont rangés à côté du plan de classement, dans un divers qui ne dit pas son nom et dont les parts de marché augmentent depuis qu’il s’est associé au numérique avec un discours commercial fort : la performance des moteurs de recherche qui retrouvent tout (vous êtes gentiment invités à le croire) exonère de l’usage d’un plan de classement ; vous ne classez rien, le moteur classe pour vous et ordonne à chaque requête les résultats de sa collecte dans un ordre personnalisé. Comme si le classement était une affaire individuelle…

Les gens consciencieux, eux, culpabilisent, parce qu’à l’école et dans les stages, le « divers » est mal vu voire stigmatisé. Cela vient sans doute de cette aspiration humaine récurrente à classer les connaissances dans un plan de classement idéal, cette manie de se prendre pour Dieu et de vouloir ordonner toutes choses.

Mais si les critères de classement ne sont pas bons, si le plan de classement n’est pas adapté, comment classer les documents autrement que dans le divers ? Il convient de distinguer le divers issu de la paresse de la personne qui classe du divers dû à la négligence de l’auteur du plan de classement. Et puis, le divers n’a pas que de mauvais côtés ; c’est même parfois la seule rubrique qui permet de faire des découvertes…

« Divers », c’est un peu comme « autres » dans les questionnaires d’enquête statistiques ou de satisfaction. À ne pas confondre avec la case « sans opinion » : on a une opinion mais elle ne figure pas dans la liste proposée, cocher la case « sans opinion » relève de la désinformation ; la case « autre » est là bien utile. Ceux qui s’y retrouvent sont « divers ex aequo », ce qui n’empêche ni interdit de les classer : ex aequo n° 1, ex aequo n° 2, ex aequo n° 3…