Auteur invité cette semaine : Lourdes Fuentes Hashimoto
Lego est le nom d’une célèbre société danoise créée en 1932 qui a depuis fait le bonheur de plusieurs générations des enfants et des grands enfants (et la douleur de milliers des pieds nus qui se sont posés sur une pièce de Lego abandonnée au milieu du salon). Il semblerait que ce nom ait été formé à partir du danois « leg godt » qui signifie en français « jouer bien ».
Ces petites pièces utilisées pour construire des objets en tout genre me fascinent depuis longtemps. Elles sont vendues en général avec un plan qu’il faut suivre à la lettre permettant de construire un modèle en particulier. Suivre des plans sans laisser mon imagination déborder n’est pas vraiment mon point fort. Assembler ces petites pièces pour construire autre chose m’a toujours paru très amusant.
Les Lego me font penser à la gestion des archives. Pourquoi? Un Lego peut représenter le plus petit dénominateur commun que les archivistes partagent: les concepts qui sont le fondement de notre pratique, à savoir la gestion du cycle de vie de l’information, les notions de provenance et de producteur, l’évaluation et la sélection, etc. Mais, comme pour les Lego, il n’y a pas de recette unique. En effet, on ne peut pas suivre tous un même plan qui serait unique et figé, universel c’est-à-dire valable en tous temps et en tous lieux. Si un archiviste essaye de reproduire à l’identique la solution qui a été appliquée par un autre archiviste, il y a de fortes chances pour que cela ne colle pas forcément avec son propre contexte. Ainsi, tout archiviste doit mettre en œuvre des solutions en adéquation avec son environnement de travail. Cela ne veut pas dire que nous ne faisons pas tous le même travail: on mobilise tous (ou on devrait …) des concepts fondamentaux pour mettre en place des stratégies de gestion des archives au sein des organisations. Il me semble essentiel de se rappeler en permanence que l’analyse du contexte de production est l’une des compétences les plus importantes de l’archiviste. C’est d’ailleurs ce qui fait toute la richesse de notre métier, on évolue sans cesse, on ne s’ennuie jamais. Un archiviste qui ne sait pas s’adapter à son environnement tel un caméléon, risque de ne pas survivre !
MAC in petto
La comparaison que fait Lourdes entre les pièces de Lego et les concepts archivistiques m’inspire deux réflexions et une question.
Tout d’abord, il est vrai que le principe du Lego de donner des éléments de base bien carrés dont chaque utilisateur peut jouer à sa guise s’applique bien à l’archivistique, comme à d’autres disciplines du reste. Ce que l’on peut remarquer toutefois pour la gestion des archives, c’est la diversité des productions à partir du même jeu de documents initial ce qui peut sembler paradoxal. En effet, les archives étant la trace d’actions réelles passées, elles ne devraient pas, a priori, se prêter à des agencements trop inventifs. Or, si on fait l’expérience de faire traiter les mêmes archives par dix archivistes (expérimentation trop rare hélas), on aura dix résultats notablement différents, un peu comme dix metteurs en scène feront de la même pièce de théâtre dix spectacles différents…
Ensuite, je ne peux m’empêcher de penser à l’évolution du jeu de Lego au cours des dernières décennies : les premiers jeux (ceux de mon enfance) comportaient essentiellement des briques simples, de six tailles et de six couleurs différentes, avec quelques pièces aux formes particulières (dessus plat, pan coupé…) pour les finitions. L’intérêt du Lego, la fascination du jeu, venait de sa capacité à susciter l’imagination, à provoquer l’audace de la construction grâce à la facilité d’agencement d’un matériau de base multi-usages. Avec les années, le Lego s’est enrichi ou complété de nombreuses pièces plus élaborées aux fonctions bien précises, tels que les personnages, les portes et fenêtres, les pièces d’angle ou arrondies, les roues, etc. qui ont finalement un double effet : d’un côté, la variété, la précision, la multiplicité des pièces permet de réaliser une construction qui ressemble davantage à ce que l’on peut voir dans la réalité ; de l’autre, la sophistication bride l’imagination en amenant gentiment le joueur à accepter ce qui lui est suggéré plutôt que de le conduire à imaginer davantage. C’est en tout cas mon ressenti ; j’ai la nostalgie des premiers Lego dont on pouvait tout faire, par opposition aux nombreuses pièces ultérieures aux fonctions prédéfinies dont l’intérêt ludique est moindre à mes yeux.
Le billet de Lourdes appelle aussi une question de fond : si les pièces de Lego correspondent aux concepts archivistiques, à quels objets comparer les archives elles-mêmes, ces éléments que l’on assemble, que l’on réorganise, que l’on façonne pour créer des fonds d’archives historiques?
Cet article m’inspire cette réflexion : je pense que les fonds d’archives, non pas au sens d’archives historiques, mais au sens des documents engageants ont normalement une logique « naturelle » cadrée par les activités de l’organisme, les obligations légales qui le contraignent, et d’autres besoins qui adviennent dans le temps. Là où la situation se complique, c’est que le flot croissant et relativement nouveau de documents à notre époque est tel que cette logique disparaît. Ce qui laisse d’autant plus de liberté, mais aussi de difficultés, à l’archiviste qui agit en bout de chaine sur le tri et le classement. Mais si l’archiviste devenait acteur en début de chaîne afin de permettre aux organismes de retrouver ce minimum de logique organique pour que se constituent de nouveau des séries cohérentes de décisions, pièces justificatives, etc. à l’image des séries organiques de registres qui font la qualité des fonds d’archives plus anciens ?
Je suis d’accord : les gros registres noirs sont les briques Lego de 18 plots (et pas seulement noires), celles qui servent à consolider l’ensemble de la construction… Hélas, les bases de données qui leur ont succédé ressemblent trop souvent à des briques de 180 plots… mais des briques de sable face au tsunami qui monte…