Motu proprio n’est pas une injure qui signifierait « Casse-toi, pauv’propriétaire » en volapük, mais une expression latine, que l’on peut traduire par « de son propre mouvement », utilisée par le pape à partir de la fin du Moyen Âge dans certains écrits pour bien indiquer que la décision contenue était une initiative personnelle et non le fruit d’un processus de décision ecclésiastique en réponse à une sollicitation. L’usage s’en est poursuivi jusqu’à Benoît XVI qui y a eu recours en 2010 sur la question de la lutte contre les activités illégales en matière financière. Le motu proprio est un type de document très précis de la diplomatique pontificale (les accros de la discipline peuvent se reporter à l’ouvrage de Félix Grat : Étude sur le Motu Proprio des origines au début du XVIe siècle).
S’il n’y avait que le pape pour décider de l’envoi d’un courrier de son propre mouvement, il n’y aurait pas lieu d’épiloguer. Mais il s’avère que la pratique s’est répandue, démocratisée et surtout totalement laïcisée, à la faveur du développement des réseaux informatiques et de la messagerie électronique. Envoyer un courrier de sa propre initiative, de son propre chef, sans passer par la procédure habituelle, en s’affranchissant du circuit hiérarchique initialement prévu par l’organisation, est aujourd’hui un geste banal dans le monde du travail.
L’appellation latine n’a pas suivi le mouvement, sans doute parce que le phénomène est très diffus et peu conscientisé. L’expression populaire la plus proche est « prendre sous son bonnet », renvoyant à un accessoire vestimentaire largement utilisé (« prendre sous sa calotte » n’est d’ailleurs pas attesté), particulièrement en ce mois de février très frais. Nota bene : pour l’été, ou pour les nageurs endurcis, le bonnet de bain marche aussi.
La comparaison des deux expressions doit cependant tenir compte de deux différences notables : d’une part, le « sous-son-bonnet » dépasse le cadre de l’établissement d’un courrier ; d’autre part, il traduit une appréciation extérieure : « À mon avis, il a pris ça sous son bonnet » et non une revendication : « Je prends sous mon bonnet de vous dire ».
Il n’en reste pas moins vrai que la pratique, même collectivement inconsciente, d’envoyer des mails motu proprio se généralise. Les motu proprio sont légion dans l’entreprise numérique et ce n’est pas sans conséquence.
Un technicien écrit au client : « Je n’ai plus de produit A mais on va vous mettre du produit B qui est très bien aussi », sans se demander s’il est fondé à prendre cette décision.
Un gestionnaire écrit au fournisseur : « OK pour votre devis modificatif » sans avoir de délégation de signature pour le faire.
Un stagiaire écrit à l’administré : « Oui, vous avez droit à cette aide publique », parce qu’il est gentil (le stagiaire, l’administré, ou les deux) sans passer par celui ou celle qui a le pouvoir d’engager la dépense, sans prendre la mesure de son geste. Etc.
Il serait plus juste qu’ils écrivent : « Au vu de la situation, motu proprio, je dis ça » ou « « Au vu de la situation, je prends sous mon bonnet de dire ça », afin de marquer clairement les responsabilités de chacun et éviter certains déboires contentieux.
Mais non ! Les outils sont là qui poussent à l’action, à l’activisme : les mails fusent comme des flèches, on bombarde et on est bombardé de mails tirés trop vite et qui créent de fait une obligation pour l’entreprise ou un droit pour le destinataire. Et finalement on se retrouve avec un boulet…
La messagerie électronique serait-elle une nouvelle forme du « droit canon » ?
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