Après « pro » la semaine dernière, « perso » est assez logique car les deux vont de pair : compte pro/compte perso ; service pro / service perso ; mail pro / mail perso, etc.
À noter, sur le plan linguistique, qu’il s’agit de deux apocopes mais si « pro », première syllabe de « professionnel » correspond à la préposition latine qui signifie « devant », sur le devant de la scène en quelque sorte, « perso » ne signifie rien par lui-même et est simplement un raccourci de « personnel » qui vient lui-même de « personne », un des rares mots français venus de l’étrusque, avec le sens initial de masque de théâtre (que l’on porte sur la scène…). Amusant.
Dans le langage courant, le mot perso renvoie le plus souvent à l’un de ces deux phénomènes :
- les pages perso sur Internet, qui se comptent par millions – même si une partie est de fausses pages « pro » – et dont beaucoup sont en accès totalement libre sur la Toile : l’anniversaire d’Anne-Marie, les voyages de Popaul et Samantha, le CV de Jean-Guillaume…
- les données perso, personnelles au sens de la réglementation (données permettant d’identifier directement ou indirectement une personne physique) que chacun sème au quotidien en écrivant des mails, en faisant des achats en ligne, en remplissant des formulaires qui seront compilés dans les coulisses, ou simplement en consultant un site Internet, en se déplaçant avec son smartphone-géolocalisateur, et qui sait peut-être demain en pensant simplement à quelque chose ou à quelqu’un…
On peut voir derrière ces deux réalités un paradoxe humain : d’un côté, le besoin et désir de s’afficher, de se valoriser, d’être reconnu par les autres – et la communication sur Internet est un moyen inégalé de le faire ; de l’autre, le désir et besoin d’être protégé contre les voyeurs et exploiteurs de tous acabits.
Coco a le droit de s’exprimer librement, d’exposer ses orientations sexuelle, culinaire, sportive, herpétologique ou molubdotémophile, dans la limite de la loi évidemment, mais il y a encore de la marge. Et Coco a aussi le droit qu’on ne vienne pas l’enquiquiner pour lui vendre des rencontres, des services, des produits, du matériel, des serpents et des taille-crayons qui ne l’intéressent pas !
Pour protéger davantage la vie privée des individus contre les agissements calamiteux des sociétés commerciales, internationales ou pas, le Parlement européen envisage de renforcer la réglementation sur le traitement des données à caractère personnel, en limitant leur conservation au strict minimum.
Le fond de la question n’est pas tant la conservation des données en soi que l’exploitation commerciale qui en est faite. Et quand on parle d’exploitation commerciale, c’est un euphémisme ; on devrait parler d’espionnage et de harcèlement, qui pourraient rivaliser parfois avec les meilleures dictatures. Or, pour lutter contre cet état de fait, la moins mauvaise solution avancée aujourd’hui est la destruction des données dites personnelles après leur usage primaire. Ce projet suscite l’émoi d’un certain nombre d’historiens et d’archivistes qui, considérant que lesdites données constituent de futures sources historiques, assimilent leur suppression quasi-systématique à l’organisation d’une amnésie collective. À cette destruction para-espionnage, ils opposent le principe d’une conservation sécurisée.
Compte tenu, primo, de l’inflation vertigineuse des données produites et de leur redondance objective, secundo, de la prolifération des données personnelles versées volontairement à l’espace public où les institutions mémorielles peuvent (doivent ?) les collecter, tertio, des multiples analyses statistiques réalisées avec ces données et dont les résultats sont des documents d’archives (contrairement à l’idée qu’on en a trop souvent), est-il vraiment catastrophique d’envisager la destruction de la majeure partie des bases de données comme le Parlement européen envisage de le faire ?
On peut dans doute voir le « big data » comme une « big cata », mais il faut aussi remettre en perspective la redondance, l’inutilité de tout conserver pour l’Histoire (un mythe tenace !) et la volonté des populations.
Dira-t-on un jour du Parlement européen qu’il fut celui qui le « big mata » ?…
On en arrive à se demander, au vu du tsunami de données personnelles complaisamment affichées sur le Net par les utilisateurs mêmes qui reprocheront ensuite à d’autres de les exploiter, si le néandertalien qui n’a aucun contact avec ledit Net existe vraiment aujourd’hui.
La «mère Finet» [l’épicière du village, il y a 50 ans] existe-t-elle? A-t-elle existé?
Non, dit Internet.
Et pourtant, je l’ai connue…
De même que La Chabraque (de Marcel Aymé/Guy Béart) n’existe pas, puisqu’elle n’est pas sur YouTube. Et pourtant je peux encore la chanter.
Avant, pour échapper à la dictature, il fallait fuir, traverser le Mur caché dans une armoire ou nager dans des eaux grouillant de requins. Aujourd’hui il n’y a rien à faire. Big Brother ne viendra pas vous chercher. Il a assez à faire avec ceux qui se livrent d’eux-mêmes…