Il y a les pros

… et il y a les cons.

What do you think I am talking about ?

Les pros et les cons, pour les Américains, ce sont les avantages et les inconvénients, ou encore ceux qui sont pour, par opposition à ceux qui sont contre, anti. C’est binaire, efficace, à condition de ne pas tomber dans le manichéisme.

Mais revenons en France avec cette syllabe « pro », apocope de « professionnel », outil marketing, qualificatif valorisant accolé à un nombre croissant de mots : votre opérateur de téléphonie vous propose un contrat « Pro », tel sportif qui n’était qu’amateur est passé « pro » ; « Y a pas à dire, ce type, c’est un pro » ; « Nous les Pros », la reine d’Angleterre est une « pro » de la royauté, écrivait le magazine Elle déjà en 1977…

Si on suit l’étymologie, être professionnel clandestinement, caché dans un bureau ou dans un lieu protégé de l’extérieur serait un non sens. Professionnel vient de professer, qui signifie dire publiquement ce que l’on sait et ce que l’on croit, sens que l’on retrouve dans l’expression « profession de foi », électorale ou pas. Le professionnel est celui qui affiche sa compétence dans un métier, dans un domaine.

On parle parfois du « jargon professionnel » mais cela ressemble à un oxymore : peut-on être professionnel quand on jargonne ? Jargon technique, oui. Jargon professionnel, non.

Pour être compris du public auquel il s’adresse, auprès duquel il exerce, auquel il doit inspirer confiance, le professionnel ne devrait pas utiliser de jargon mais des mots simples pour exposer le diagnostic et les moyens de résoudre les problèmes.

Par exemple, vous avez un souci de désherbage dans votre jardin et vous faites appel à un spécialiste du domaine. Le jargonneur vous dira : « Vous avez un problème de RM avec le SAE ; il faut ajuster la DUA et respecter la DUC », et vous ne saurez pas qu’il veut dire : « Vous avez un problème de Repérage de la Mousse (RM) avec le Scarificateur Anti-Éclaboussures (SAE) ; il faut revoir la Désherbation Ultra-Active (DUA) et respecter la Directive Unilatérale de Clause (DUC) ».

Mais le pro, lui, vous dira : Je peux passer un appareil pour retirer la mousse puis un désherbant adapté à la nature de votre sol. »

Si vos soucis ne concernent pas votre jardin mais le classement et l’archivage de vos dossiers, la même formule jargonnesque peut être utilisée : « Vous avez un problème de RM avec le SAE ; il faut ajuster la DUA et respecter la DUC », qu’il faudrait dans ce contexte entendre comme : « Vous avez un problème de Records Management (RM) avec le Système d’Archivage Électronique (SAE) ; il faut ajuster la Durée d’Utilité Administrative (DUA) et respecter la Durée d’Utilité Courante (DUC) », mais ça ne vous apprendra sans doute pas grand-chose de plus.

Pourquoi ne pas dire simplement : « Je vais vous aider à identifier les documents qui vous engagent pour les mettre à part, dans un lieu sécurisé, pendant la durée nécessaire pour couvrir le risque, tout en les maintenant accessibles. »?

Boileau a écrit il y a plus de trois siècles : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement… ». Pourquoi ne serait-ce plus vrai ?

Bon, ceci n’est qu’une opinion. Après, comme pour toute idée, il y a les pros, et il y a les cons.

4 commentaires

  1. Excellent Marie-Anne ! un peu d’humour dans ce monde de jargonneux… ça fait du bien 🙂
    Isabelle

    • Merci, Isabelle. Ta réaction me conforte. Justement, j’y repensais hier, en m’attelant à retirer la mousse dans le jardin …

  2. Bonjour,
    Le Robert définit le jargon comme suit : « langage incompréhensible » ou « langage particulier à un groupe et caractérisé par sa complication.  » Il est donc aussi lucide que vous. Je suis archiviste et dans une vie professionnelle antérieure, j’utilisais le jargon que vous décrivez. Par chance, une collègue « profane » avait fini par avouer n’avoir rien compris à ce que je lui expliquai (en gros, je lui disais que la gestion des archives suivait la théorie des trois âges, que selon cette théorie, elle pouvait effectuer le préarchivage grâce à un tableau de gestion indiquant la fin de l’âge intermédiaire par une DUA, au terme duquel elle pouvait effectuer des versements en remplissant un bordereau). Je pense que l’utilisation du jargon était pour moi une manière de protection : en faisant croire que l’archivage relevait de concept et d’un vocabulaire spécifiques, il ne pouvait être que l’affaire de pros. Mais à trop utiliser le jargon, on s’éloigne de la réalité et de la compréhension des autres, ce qui est gênant pour une fonction qui se veut transversale.

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