Tout, intégralement, de haut en bas, du début à la fin, de la tête aux pieds, sans faire abstraction d’aucun élément, sans rien omettre. In extenso.
L’expression peut, dans l’absolu, s’appliquer à une multitude d’actions, comme aspirer la poussière in extenso, sans omettre le moindre grain, ou bien tailler la vigne in extenso, du premier cep du premier rang au dernier cep du dernier rang.
Mais c’est avec l’écrit que l’adverbe a le plus de sens, soit pour une activité de publication ou de reproduction in extenso, soit pour une activité de lecture in extenso.
Or, le fait de lire un document in extenso est une opération de plus en plus rare : manque de temps et autres sollicitations, mais aussi longueur du texte, lourdeur de style, manque d’attractivité du contenu, donc ennui du lecteur, et encore ce constat que, finalement, ne pas tout lire n’a pas de conséquences, en tout cas pas de conséquences systématiques, pas de conséquences immédiates. Pas toujours, pas tout de suite…
Deux types de documents illustrent admirablement ce constat : d’une part, les travaux universitaires ; de l’autre, les contrats.
Commentant différents scandales de plagiat universitaire (voir notamment l’affaire Karl-Theodor zu Guttenberg), Peter Sloterdijk, philosophe et recteur de l’université de Karlsruhe, estime (dans Le Monde en janvier 2012) que « 98 % et 99 % de toutes les productions de textes issues de l’université sont rédigées dans l’attente, si justifiée ou injustifiée soit-elle, d’une non-lecture partielle ou totale de ces textes. Il serait illusoire de croire que cela pourrait rester sans effet sur l’éthique de l’auteur. Dans ce système, la lecture réelle inattendue mène à la catastrophe ».
Les documents contractuels sont eux aussi de plus en plus longs et de moins en moins lus. Il faut bien tenir compte d’une réglementation toujours plus complexe et anticiper les risques de contentieux ou de dommage toujours plus nombreux. Dans le monde du travail, c’est le travail des juristes et des avocats, on les remercie. Mais les individus sont confrontés au même phénomène : des clauses qui n’en finissent pas et qui sont de moins en moins lues, quasiment jamais in extenso, avant d’être acceptées. Ceci est particulièrement vrai pour ces écrits numériques dont, en cochant une petite case ou en cliquant sur un modeste bouton, vous dîtes subrepticement que vous les avez « lus et acceptés », ce qui est vrai pour l’acceptation et en général un mensonge pour la lecture (voir ce billet de WinMacSofts). À croire que la longueur des documents contractuels est un gage de sérieux, une garantie qui compense l’indolence du « co-contractant à l’insu de son plein gré ».
Vous n’avez qu’à signer là. Cliquez ici. C’est tellement simple. Qui lit aujourd’hui ce qu’il signe ?
Quand il m’arrive (assez fréquemment du reste) de lire in extenso les contrats que je dois signer, et de les modifier bien souvent car je me refuse à signer des inepties, je passe au mieux pour une enquiquineuse, au pire pour une illuminée. Pas grave. Après tout, je suis aussi chercheuse en sciences de l’information (labo Dicen) et, en lisant in extenso, je trouve, je trouve des tas de choses très intéressantes….