À côté de l’histoire qui peut être aussi bien contemporaine qu’ancienne, à côté de la mémoire qui peut-être vive aussi bien que morte, le grimoire, lui, est toujours « vieux ». Vieux et mystérieux.
Grimouard rime avec Fort-Boyard.
C’est typiquement dans ce genre de lieu retiré qu’on l’on s’attend à dénicher un grimoire, n’est-ce pas ?
Fendant bravement les toiles d’araignée, vous descendez un escalier dont les marches craquèlent étrangement d’avoir été trop peu fréquentées. Dans la cave, doublement voûtée par l’architecte et le poids des ans, une table empoussiérée aux allures d’établi ou plutôt de paillasse, laisse deviner le coin d’un objet qui ressemble à un livre d’un autre âge, recouvert de bric et de broc… Vous retenez votre respiration, c’est lui, le grimoire tant espéré, là où vous allez peut-être fébrilement déchiffrer :
- un testament olographe des frères Grimm,
- le secret de fabrication de la bière Grimbergen,
- un lien de parenté occulte avec la famille Grimaldi,
- ou plus modestement quelques dessins de grimaces inédites…
Ah qu’il est bon de s’imaginer en alchimiste à la veille de découvrir la pierre philosophale ! On sourit déjà en pensant à la pépite cachée sous les fioritures cabalistiques des pages roussies par l’usure… Mais on devra le plus souvent se contenter d’une petite souris cachée sous la reliure.
Peu importe. Il faut satisfaire à ce besoin de faire vibrer de temps à autre la corde sensible de l’alchimiste moyenâgeux qui sommeille en chacun de nous (ou presque). Qui n’a jamais ressenti l’attrait pour les vestiges du passé et les mystères que l’imaginaire y attache : les vieilles pierres, les vieux meubles, les vieux parchemins, les vieux grimoires.
Et bien sûr, comment ne pas remarquer que de l’alchimiste à l’archiviste, il y a bien peu de choses, tout au moins sur le plan de l’écriture. Deux petites lettres font la différence : un « r » ou un « l », l’un et l’autre très aériens par nature, et un « m » ou un « v» (la première étant plus sympathique à prononcer…).
Le lien entre les deux personnages est assez bien entretenu par la bande dessinée de Schuiten et Peeters publié en 1987 et réédité en 2000 :
Des grimoires et encore des grimoires pour ces « cités obscures ». De quoi alimenter une histoire bizarrement dénuée de toute date, compilée dans ce « rapport sur un curieux cas de superstition par Isidore Louis, chargé de recherches à l’Institut central des Archives, sous-section des Mythes et légendes » (si, si, c’est écrit dans le livre !).
Cet album méconnaît largement la réalité du monde des archives, le processus d’accumulation et de sédimentation organique qui le différencie du monde des livres, ses méthodes de classement et de recherche. À vrai dire, la majorité des œuvres de fiction, littéraires ou cinématographiques, qui mettent en scène les archives méconnaît cette réalité mais le constat, certainement partageable par bien des métiers, n’a aucune importance et n’enlève absolument rien à la qualité de l’intrigue ou de l’illustration.
Je veux juste remarquer que cet archiviste-là (Isidore) fait des recherches, « retrouve des traces », rédige un rapport, mais n’archive rien! C’est que l’archivage, c’est autre chose, tout aussi fascinant, voire plus…
Billet publié dans le triplet « Le passé ? » : Histoire–Mémoire-Grimoire