Ce billet fait partie du triplet Illusoire–Libératoire-Purgatoire
À peine a-t-on jeté un document inutile qu’on se trouve à en avoir besoin ! Ce n’est pas systématique mais suffisamment fréquent pour qu’on s’arrête sur le phénomène.
Votre document n’a pas été jugé digne de rejoindre le paradis documentaire que l’on nomme Archives, avec un A majuscule. Et il s’est retrouvé, d’un mouvement de bras ou d’un clic, plongé dans les flammes de l’enfer. C’est bien sûr une image car chacun sait qu’il ne faut pas brûler les documents périmés mais les recycler.
Vous pensiez de bonne foi ne plus en avoir besoin mais une nuit a passé et le contenu, vexé d’avoir été écarté, en a profité pour se rappeler à votre mémoire, cherchant à se rendre indispensable. Ou encore, c’est, par hasard, votre collègue qui vous pose une question dont cet ex-document détenait la réponse.
Que faire ? N’y a-t-il donc pas de juste milieu entre l’Enfer et le Paradis, entre la béatitude des élus et la souffrance éternelle des damnés, telles qu’on les voit dans maintes représentations, par exemple ici sur les bas-reliefs de la cathédrale d’Orvieto :
Le Purgatoire est là pour ça !
Défini par la théologie catholique comme un processus de purification des âmes qui précède, pendant un temps plus ou moins long, l’entrée au Paradis, le Purgatoire a souvent été représenté comme un lieu : un lieu rafraîchissant chez les premiers Chrétiens (un genre de frigo ?), plus chaud au Moyen âge…
Je n’irai pas plus loin dans l’explication théologique – je suis assez hérétique comme ça 😉 – mais l’idée du Purgatoire évoque si bien la notion de sas de décantation entre deux zones opposées, d’entre-deux en attendant une affectation définitive, que je l’ai très vite adoptée et transposée au monde archivistique.
Le Purgatoire des données ne sert pas qu’à procurer une assurance ou à atténuer les regrets dans les cas d’hésitation sur la destruction d’un document précis. Il peut jouer un rôle plus systématique dans la gestion de la conservation des documents, particulièrement dans l’environnement numérique. Quand on considère que :
a) plus de 75% des documents produits et reçus dans cet espace documentaire qu’est la messagerie électronique ne présentent aucun intérêt à être conservés ;
b) beaucoup de gens croient que toute leur documentation est importante voire vitale mais quelques mois ou années plus tard, ces mêmes gens ne savent même plus de quoi on parle si on évoque avec eux ces fameux documents jugés naguère essentiels (je l’ai observé maintes fois chez maintes personnes),
le purgatoire archivistique est très pratique dans l’environnement numérique : on entasse dans le sas tout ce qui n’a pas une justification précise de conservation. Pendant la période de sommeil décidée au préalable (trois mois ou trois ans), on pourra, grâce aux moteurs de recherche, repêcher un document méritoire injustement condamné ; les éléments rappelés à l’occasion d’une requête seront le cas échéant requalifiés, i.e. admis au paradis des Archives, et les autres laissés à leur ensommeillement. À l’issue de cette période de sécurité, on détruira tout ce qui n’a pas servi et qui a toute chance de ne jamais servir.
Le point d’attention est organisationnel : pour faire passer la procédure, il faut ruser un peu et mettre une belle pancarte sur la porte du Purgatoire, genre « salle de repos », avec des images de plages-transats-cocotiers. C’est assez efficace.
Pour conclure, mon retour d’expérience est que dans la gouvernance quotidienne de mon information, depuis que j’ai créé mon purgatoire, je suis presque au paradis !
L’image est belle, et l’humour doit bien aider les collègues à intégrer la pratique (d’autant plus pour moi qui travaille dans une congrégation religieuse), sauf qu’au contraire du purgatoire archivistique où 75% des archives n’ont pas vocation à être conservée, l’entrée au purgatoire « d’origine » est un passe-droit pour le paradis, à plus ou moins long terme… 😉
L’identification d’un lieu où tout n’est pas encore décidé est le point essentiel du « purgatoire archivistique », plus que la destination ultime. Les proportions, c’est comme chacun veut… Votre interprétation me va bien.