Après la passoire et l’écumoire, je ferme la séquence « ustensiles de cuisine » avec la bouilloire, ce récipient métallique dans lequel on fait bouillir l’eau, sur le poêle ou au moyen d’une résistance électrique.
Le nom vient de la fonction de l’instrument qui sert à faire bouillir l’eau, comme en italien (bollitore) ou en catalan (bullidor), tandis que, dans d’autres langues, le nom de l’objet souligne l’usage qui est fait de l’eau portée à ébullition, le plus souvent le thé, comme czajnik (en polonais) ou ча́йник (en russe), ou encore la forme du récipient : kettel (anglais) ou Kessel (allemand).
La bouilloire est apparue à la Renaissance, avec des modèles allant du plus sobre au plus sophistiqué. C’est un objet banal dont se sont aujourd’hui emparés les designers, une excellente idée de cadeau de Noël en cette saison : « Quelle superbe bouilloire ! C’est trop gentil de votre part ! J’en ai bientôt une pour chaque jour de la semaine, c’est vraiment très pratique ! ». Heureusement, il y a eBay ou Le bon coin pour revendre les cadeaux inutiles…
La bouilloire électrique fait naturellement partie des objets domestiques concernés au premier chef par la domotique (programmation à distance de la mise en marche) et par l’ère des objets connectés, ces objets dotés de capteurs de données lisibles à distance par des logiciels qui savent interpréter les données de localisation et d’utilisation.
Deux exemples pour illustrer comment la technologie peut transformer l’objet bouilloire : le I-pot et la iKettle.
Le I-pot (pour pot à information) est une invention japonaise du fabricant d’électroménager Zojirushi, en partenariat avec Fujitsu et l’opérateur de téléphonie NTT, à la demande d’une association d’aide aux personnes âgées, après un triste fait divers survenu à Tokyo en 1996 : deux personnes avaient été retrouvées mortes de faim par leurs voisins vingt jours après leur décès… L’idée était de doter un objet quotidien, en l’occurrence la bouilloire, d’un système de communication sans fil qui enregistre les mouvements de l’objet (déplacements, utilisations) et envoie ces informations à une personne extérieure (famille, auxiliaire de vie) attentive à ces signes de vie : si la bouilloire est utilisée à heures régulières, on en déduit que la personne boit son thé ou sa tisane normalement ; si les utilisations de la bouilloire se multiplient ou s’arrêtent brusquement, il y a alerte. Le I-pot permet la surveillance non intrusive des personnes fragiles. Comme quoi la technologie peut ne pas être intrusive et d’un usage modéré.
La iKettle est tout autre chose. Il s’agit d’une bouilloire connectée en wifi que vous pouvez programmer à distance avec un iPhone quand vous n’avez pas le temps d’attendre trois minutes que l’eau chauffe. Par exemple, vous descendez chercher le courrier au rez-de-chaussée ; juste avant d’ouvrir la boîte à lettres, vous envoyez un ordre à la iKettle pour se mettre en marche afin que l’eau soit prête juste au moment où vous serez remonté dans votre appartement. Formidable ! Mais surtout, ne vous arrêtez pas dans le hall ou dans l’escalier discuter ou aider un voisin, vous risqueriez de trouver de l’eau tiède. Au diable les humains ! N’oubliez pas votre rendez-vous avec votre bouilloire !
Gadget ou utilité réelle ? Technologie egocentrée ou appliquée au mieux être d’autrui ?
La technologie n’est rien. La finalité est tout.
L’électricité est une source d’énergie particulièrement pratique, et qui dans un environnement plein de papier propose une alternative sécuritaire de premier ordre au réchaud à combustion.
Je la séparerai de l’électronique qui ajoute de l’information sans forcément améliorer le service de base : température de l’eau pour les puristes du 95° degré, alternative à l’imprécision de l’ouie et du premier frémissement de l’eau chaude mais pas bouillante ; système d’alertes diverses et variées, comptages et statistiques… Je ne suis pas contre ce genre de progrès mais parfois je préfère la simplicité d’un peu de thé dans de l’eau chaude sans autre analyse que celle de mon palais et de mise en scène qu’une petite tasse fantaisie. Le numérique, en somme, c’est comme je veux quand je veux. Même s’il est là, je ne me sens pas obligé de l’utiliser.
Heureusement qu’on n’est pas obligé mais ne le sera-t-on pas un jour, faute d’autres moyens ? Mes exemples n’étaient sans doute pas très attractifs… Je partage votre goût en matière de simplicité, mais simplicité et bon sens ne s’opposent pas à numérique, en tout cas ne devraient pas s’opposer. C’est le fond de cette question.
Tirer une technologie vers ce qu’elle peut faire de bien est sans doute la meilleure façon d’éviter que ses usages ne se développent dans le mauvais sens.
La bouilloire en milieu scolaire et plus précisément dans un CDI (Centre de Documentation et Information) est un outil indispensable de communication de la documentaliste. Il permet de faire du café (mais celui de la salle des professeurs est un redoutable concurrent), du thé (pour faire découvrir le thé de Noël, le « sieste sous un figuier », le thé aux épices… avant de passer au roi, le Darjeeling !), du chocolat chaud pour les gourmands, de la tisane pour les collègues en surdose de caféine. Le professeur stressé se pose, formule posément ses desiderata et prépare calmement notre prochaine leçon commune.
C’est aussi l’engin magique pour un goûter surprise en fin d’année pour les élèves qui ont bien voulu étiqueter 4000 manuels scolaires. Un peu dubitatifs à l’idée de prendre le thé au CDI, au mois de juin, avec des petits gâteaux, à la manière des vieilles anglaises, ils ont proprement siphonné tout le thé préparé avec des mines étonnées et ravies de tant de goût pour un simple eau chaude…
Quel engin électronique pourrait concocter d’aussi chaleureux moments de convivialité ?
Merci de votre commentaire qui est aussi un chaleureux plaidoyer en faveur du rôle des CDI. Bien sûr qu’aucun engin électronique ne saurait concurrencer la chaleur humaine. Mais, j’imagine que la bouilloire de votre CDI est une bouilloire électrique et que cela ne l’empêche pas d’être au service de votre activité conviviale ; alors pourquoi une bouilloire électronique n’aurait-elle pas le même rôle (fêter le 1000e « thé », analyser l’utilisation sur le plan de la consommation électrique, insérer un petit jingle en lien avec l’actu du CDI…) ? Nous sommes à l’ère du numérique et il nous faut l’intégrer au quotidien dans le sens d’un mieux vivre et d’un mieux être. Ce n’est pas le numérique qui est en cause mais son usage parfois (trop souvent ?) déviant et anti-convivial. Au risque de me répéter, le numérique doit être au service de l’humain et non l’inverse.