Pour une petite escapade entre Noël et le jour de l’An, Londres est une destination stimulante : Oxford Street (pour le shopping sur fond d’études savantes), Regent’s park (pour la promenade sur fond de gouvernance), Covent garden (pour la musique sur fond de prières monastiques) et Trafalgar Squoire…
Vous préféreriez que j’écrive « Trafalgar Square » ? C’est plus académique, sans doute, mais est-ce important pour la compréhension ? Les limites des variantes orthographiques, comme celles de la prononciation, sont la compréhension par l’interlocuteur, isn’t it ?
Trafalgar, nom de lieu espagnol transposé de l’arabe, se prononce comme il s’écrit, composé d’une seule voyelle commune à toutes les langues, le A, et de consonnes dont la majorité (T, F et G) est également commune à la plupart des langues (les lettres R et L sont plus fluctuantes – on ne les appelle pas « liquides » pour rien – et se confondent parfois, comme en japonais).
Le mot square, d’origine latine (le carré) appartient à la langue anglaise où il désigne nomment une place publique ; sa prononciation est [skwε:ʀ], quelque chose comme « scouère » pour ceux qui ne maîtrisent pas l’alphabet phonétique. Square appartient aussi à la langue française avec le sens un peu différent de petit jardin public et sa prononciation, si on ne tient pas compte des accents régionaux est [skwa:ʀ] en phonétique, autrement dit « scouarre » ou « squoire » avec ce suffixe spécifiquement français.
Tout le monde connait cette place londonienne très fréquentée, supervisée par la statue de l’amiral Nelson qui, du haut de sa colonne, entend rappeler aux passants, aux manifestants, et peut-être aussi aux très assidus pigeons de la place, la suprématie de l’Angleterre sur les mers et sur la France de Napoléon. Le 21 octobre 1805, au large du cap Trafalgar, près de Cadix, les trente-trois navires franco-espagnols commandés par l’amiral Villeneuve sont pour les deux tiers anéantis par la flotte britannique aux ordres de Nelson, même si celui-ci y laisse la vie sans avoir le temps de profiter de sa victoire.
La construction de Trafalgar Square n’a commencé qu’en 1820, quinze ans après la bataille. La statue de Nelson a été érigée dans les années 1840. Les choses ont pris leur temps et, bien que la puissance maritime de l’Angleterre ait décru après la Première guerre mondiale, Trafalgar Square est toujours là pour glorifier cette page d’histoire. Reconnaissons que, même pour les ressortissants du pays des vaincus, le nom des rues et des places empruntés aux faits d’armes des peuples d’hier a plus de relief et d’attrait touristique que les qualifications numériques (la 110e rue) ou botaniques (place des Coquelicots). La tendance dans la toponymie est aujourd’hui aux dénominations liées à la paix et non plus à la guerre, mais qui oserait s’en plaindre ?
L’histoire poursuit son chemin et les villes se transforment sans cesse. Le dernier événement en date pour ce haut lieu historique est, en juillet 2013, l’installation sur le Squoire par la municipalité de Londres d’un coq monumental en fibre de verre bleu cobalt créé par l’artiste allemande Katharina Fritsch.
Un amiral anglais sur une place qui évoque un cap espagnol, face à un coq forcément français créé par une artiste allemande : c’est ça, la construction de l’Europe, non ?
Nota bene : la présence du coq sur Trafalgar Squoire est provisoire et devrait prendre fin en janvier 2015…