Les grands conservatoires – le Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM), le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP), le Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD) – ont été créés par la Révolution française, plus précisément par la Convention (1792-1795).
Contrairement à ce que le substantif-adjectif « conservatoire » pourrait laisser penser, l’objectif majeur des fondateurs (l’abbé Grégoire et les autres) était moins la conservation que la transmission des arts et des sciences. Le lieu baptisé conservatoire est vu comme le ferment de nouveaux talents qui s’inspirent des réalisations de ceux qui ont exercés le même art ou la même science avant eux. Il y a dans la notion de conservatoire celles de capitalisation, de perfectionnement, d’innovation. Le musée du CNAM a été créé en même temps que le conservatoire, avec le rôle de « réunir les collections qui serviront de modèle, de référence et d’incitation aux inventeurs, chercheurs et curieux de toute condition sociale ».
Parmi les conservatoires de création récente qui concernent le plus souvent la défense de la nature (conservatoire du littoral, conservatoire des plantes médicinales, conservatoire du saumon sauvage…), il en est un qui renoue totalement avec l’esprit révolutionnaire. C’est le Conservatoire des ocres et de la couleur, à Roussillon dans le Vaucluse, bel exemple de la réalisation d’un projet personnel partagé par une association et qui fête cette année ses vingt ans. Le principe fondateur est « l’affirmation que la culture technique et industrielle est créée par les entreprises, les artisans et que sa conservation doit obligatoirement passer par la transmission des savoir-faire. À l’image d’un conservatoire de musique, le rôle du Conservatoire de la couleur est de pratiquer la discipline que l’on entend conserver. Ici la couleur se vit par le geste et par la transmission des savoir-faire liés à la production de l’ocre et à la mise en œuvre des matières colorantes dans différents domaines : bâtiment, peinture, papier, art et métiers d’art ».
Autre exemple remarquable, le Conservatoire Citroën, installé à Aulnay-sous-Bois (mais qui selon toute vraisemblance n’y restera pas après la fermeture de l’usine…). Dans la logique de collecte des inventions, le conservatoire assure la conservation systématique d’au moins deux exemplaires de chaque modèle, ainsi que de la documentation des véhicules et de l’entreprise mais le rôle affiché est plus l’histoire de la marque que le développement de l’industrie.
Il y a bien un hiatus entre conservatoire et conservation. Le premier s’inscrit dans le mouvement et une transmission basée sur la tradition. La seconde est plus statique avec les notions de préservation et d’accès au patrimoine sous une forme de consommation culturelle. Du reste, on ne parle pas de conservatoire quand il s’agit de livres ou d’archives, sauf au sens figuré, comme synonyme, inexact, de musée.
Cette dernière affirmation n’est plus tout à fait vraie. L’emploi du mot conservatoire dans le titre de centres d’archives est apparu il y a une vingtaine d’années. Les deux exemples les plus connus sont : le Conservatoire national des archives et de l’histoire de l’éducation spécialisée et de l’action sociale (CNAHES) créé en 1994 et le Conservatoire des Archives et des Mémoires LGBT de l’Académie Gay & Lesbienne, créé en 2002.
Dans ces deux cas, la démarche militante est patente ; il ne s’agit plus de créations nationales mais d’initiatives privées d’associations. Les minorités qui ont des valeurs à défendre sont logiquement plus offensives que les majorités qui font les choses par habitude…
On remarque aussi que le profil des fonds conservés évolue ; ce ne sont plus les titres, les contrats, les documents de gestion qui constituaient les fonds d’archives organiques d’hier, mais de la documentation (parfois des copies faute d’avoir pu collecter les originaux), de la correspondance ou des manuscrits relatant l’action de telle personnalité ou de tel groupe militant.
Pour revenir au sens des mots, ne faudrait-il pas parler de conservation des livres en lien avec un Conservatoire national de la lecture, et de conservation des archives patrimoniales en lien avec un Conservatoire national de l’histoire, variantes historiographiques comprises ?
Merci Marie-Anne pour cet article, qui correspondant à l’esprit « révolutionnaire » (?) que l’on tente de mettre dans ce conservatoire des ocres et de la couleur et qui aurait pu aussi s’appeler conservatoire des pratiques pigmentaires. Mais le problème que l’on rencontre souvent avec les visiteurs est bien la confusion entre conservatoire et conservation. D’autant que dans la représentation mentale du monde culturel, un ancien lieu de production est vite assimilé à un musée, totalement dédié à un passé glorieux.
Reste, sur la question des savoir-faire (voir les travaux de Denis Chevallier sur la notion de savoir-faire et de son évolution) de définir une posture. De plus en plus nous nous attachons à montrer qu’une pratique pour rester vivante évolue et intègre de nouveaux-savoir-faire. Un conservatoire des savoir-faire de la couleur n’est pas forcément un conservatoire des savoir-faire traditionnels. A titre d’exemple, nous avons des stages de photographie numérique, et d’autres sur de procédés de développement du 19e siècle (gomme bichromatée, cyanotype, Van Dyke, papier salé). On peut ainsi mélanger des savoir-faire pour en créer de nouveaux… C’est la raison pour laquelle nous faisons référence aux conservatoires de musique, de danse ou de théâtre, lieux de pratiques alliant mémoire et création.
Merci à toi, Mathieu, de ton commentaire mais surtout pour la création et le développement du conservatoire des ocres et de la couleur.
La question de la relation entre conservatoire et conservation ne m’avait jamais effleurée avant que mon analyse systématique des mots en –oire m’y conduise… (sérendipité ?).
Je rebondis sur cette phrase qui me semble d’autant plus essentielle qu’elle n’est pas partagée aujourd’hui, en dehors des arts du spectacle : « Un conservatoire des savoir-faire n’est pas forcément un conservatoire des savoir-faire traditionnels ». La vie avance (nature, humanité) ; la conservation statique est donc peu de chose si elle n’est pas associée au mouvement, à la création, au renouvellement. Ce que l’abbé Grégoire avait bien compris mais que d’autres ont oublié.
Longue vie au conservatoire des ocres et de la couleur, et à bientôt.