La périssoire est une embarcation à fond plat, actionnée par une double pagaie comme la pirogue et le kayak mais elle se distingue de ses cousins par la finalité de son usage. Ce n’est pas un moyen de transport ni un bateau de pêche mais un canot conçu pour les sports et les loisirs nautiques. Très prisée par les bourgeois de la fin du XIXe siècle sur les bords de la Marne ou de l’Yerres, elle a été immortalisée par Gustave Caillebotte (la propriété familiale du peintre à Yerres présente actuellement une exposition de ses œuvres, cent vingt ans après sa disparition).
Périssoire : quelle drôle de nom pour un bateau de loisir…
On ne sait pas très bien qui est l’auteur de cette appellation mais l’étymologie est claire, suggestive et conjuratrice. Avec sa silhouette élancée et la simplicité de sa ligne, la périssoire est un instrument de perdition potentielle, d’engloutissement fatal pour le navigateur inexpérimenté, insuffisamment rompu au maniement de la pagaie, inattentif à la branche d’arbre qui s’étend au travers de la rivière et qui va faire chavirer l’esquif, ou simplement ignorant des courants et contre-courants à éviter.
La périssoire a pourtant remporté un vif succès à la Belle époque, non seulement en rivière mais encore en bord de mer où les dangers sont différents et les vagues parfois imprévisibles, par exemple sur les côtes normandes. On rit, on chante, on se bidonne de voir l’autre chavirer, sans imaginer une seconde qu’on sera le prochain…
La mode est passée et l’usage de ce ravissant néologisme de cent cinquante ans s’est estompé. Quel dommage pour la langue française et pour les amateurs de mots imagés ! D’autant plus que les occasions de reconversion du qualificatif ne manquent pas. Les pratiques à la fois ludiques et périlleuses n’ont pas disparu même si la périssoire s’avère aujourd’hui aussi bien numérique que champêtre ou balnéaire.
On s’embarque sur un réseau social par temps calme, on surfe au gré du courant et de la vague d’amis, on pagaie dans le flux des données puis, au détour d’un malentendu, dans le reflux d’une amitié hâtive, au hasard d’un tweet vengeur ou d’une photo peu avantageuse, on se retrouve échoué sur un site inconnu et inhospitalier, pris de cours par un obstacle sournois que l’on avait pas anticipé, le cul par-dessus tête, objet de la risée des spectateurs et parfois anéanti par le tsunami numérique. Mais l’attrait du divertissement est toujours le plus fort, et l’histoire montre qu’il faut bien de temps en temps sacrifier quelques têtes au Minotaure, en l’occurrence au Minotaure numérique.