« Il est nécessaire de faire une discrimination entre des documents de valeur inégale ».
Cette affirmation figure à la page 5003 du volume XVIII de l’Encyclopédie française (1935-1966), volume paru en 1939 sous le titre La Civilisation écrite et dirigé sous la direction du remarquable Julien Cain, administrateur général de la Bibliothèque nationale de 1930 à 1964 (sauf sous le gouvernement de Vichy…).
Au cours des dernières décennies, la discrimination a été presqu’exclusivement réduite à sa dimension raciale et à tous les crimes qui en ont résulté, au point d’inventer la discrimination positive qui se veut réparatrice d’un passé que, pourtant, jamais personne n’est parvenu à refaire.
Mais qu’est-ce au fond que la discrimination, avec ses deux adjectifs associés : discriminant (pour le critère) et discriminatoire (pour la pratique) ? Il n’y aurait pas lieu de parler de discrimination si on en restait au fait de créer des sous-groupes dans un groupe ou de distinguer des ensembles sur la base de critères variés, physiques bien souvent mais pas que. Ce qui caractérise l’acte de discrimination est que les groupes constitués subissent un traitement différencié.
Ceci dit, une opération discriminatoire n’est pas en soi condamnable. Elle l’est quand elle vise des individus et que le lien entre le critère discriminant et le traitement associé est contraire aux lois ou aux principes humains (les deux n’étant pas toujours en harmonie du reste). Elle ne l’est pas quand elle vise des choses et que les critères discriminatoires ou le traitement effectué sont conformes au droit, aux usages, aux besoins. La discrimination est pratiquée et utile dans de nombreuses circonstances :
- les fraises du jardin : les plus belles sont réservées pour le dessert et seront napées de sucre et de crème Chantilly tandis que celles qui sont encore un peu vertes ou déjà trop avancées sont mises à l’écart pour une compote ou une confiture qui n’en sera que meilleure ;
- les œufs du poulailler : œufs à couver dans la couveuse et œufs à consommer dans la cuisine ;
- les grains de café dont le prix de vente diffère selon la provenance, laquelle est associée à la qualité ;
- et bien sûr les documents.
Comme le recommande L’Encyclopédie française, Il est impératif de discriminer les documents, d’identifier leurs propriétés et de leur faire subir des traitements différenciés car tous ne sont pas d’égale valeur, loin s’en faut. Exemples :
- un contrat de partenariat avec la Mongolie pour l’extraction du cuivre sera tamponné, pris en photo, enveloppé d’une belle chemise de couleur vive et allongé durablement sur l’étagère d’un coffre-fort ;
- les données de promotion commerciale seront datées (terminus a quo et terminus ad quem de la promo), figées et stockées sous surveillance jusqu’à extinction du délai de prescription commerciale, tant chez le vendeur que chez l’acheteur ;
- le gribouillis olographe réalisé sur une nappe en papier par un artiste ou d’un personnage clé dans une affaire sera soigneusement conservé dans le dossier, aussi bien que sa mise au propre ;
- les notes informelles, non diffusées, potentiellement toxiques ou trompeuses, seront transformées en confettis, sauf chez les narcissiques qui sont parfois inconséquents, les mégalos qui veulent absolument tout conserver, et les concussionnaires pour qui toute donnée est monnayable (hum… ma classification est un peu discriminatoire, non ?).