L’adjectif contradictoire a dans le langage courant une connotation négative : ses propos sont contradictoires, son attitude est contradictoire… Cela signifie : « il dit dit n’importe quoi » ou « elle n’est pas crédible ».
Le principe de la contradiction, c’est-à-dire le fait d’apporter systématiquement une voix différente, opposée, provocante dans la mise en cause d’affirmations gratuites ou insuffisamment étayées, est pourtant éminemment positif. Il remonte à l’exercice de la dialectique aristotélicienne qui organise la présentation d’arguments et de contre-arguments pour approfondir un sujet et développer l’esprit critique des étudiants. Symbole de l’apprentissage au sein de l’université médiévale, les débats contradictoires ou disputes (disputationes) ont été, pour cette mauvaise raison, depuis longtemps abandonnés dans le cadre de l’enseignement. Le principe du contradictoire ne s’est guère maintenu que dans le droit avec les jugements, arrêts et autres conclusions contradictoires, où le qualificatif justifie que la procédure exigeant l’expression systématique de l’une et l’autre des parties a bien été observée.
Il faut réhabiliter le contradictoire dans la formation.
C’est ce qu’avait entrepris Valérie Poinsotte dans son enseignement à l’université d’Angers (1995 à 2003). Entre 1997 et 2000, l’inventive et passionnée Valérie Poinsotte (emportée trop vite et trop jeune par la maladie en 2009) avait instauré des « disputes archivistiques » qui ont d’abord dérouté les élèves mais se sont révélées très formatrices. Les étudiants étaient invités à s’organiser en deux camps défendant chacun un point de vue contradictoire sur un sujet donné : le phénomène généalogiste, la numérisation et les archives, faut-il faire payer les utilisateurs des archives ? l’archiviste est-il au service du public ou de l’employeur ? etc.
L’essai n’a pas été transformé et les disputes se sont hélas éteintes mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. Il est même urgent de faire quelque chose car les affirmations gratuites ont tendance à l’emporter sur le débat argumenté. Il est urgent de contrer (précisément) la mode aussi idiote que pratique de la vérité par la fraîcheur » (la bonne information est celle que l’on trouve sur le site web qui a été modifié le plus récemment), celle qui évite de réfléchir. Mais il y a des sujets où il faut réfléchir et débattre si on ne veut pas tourner en rond. L’archivage (qui est autre chose que l’archivistique) est de ceux-là.
Soit le discours suivant, très vraisemblable : L’entreprise Machin-Truc a fait le choix de l’archivage électronique ce qui lui permettra de faire des économies sur son budget annuel de 10000 € d’archivage papier. Le projet avance bien mais le budget de l’archivage électronique va sans doute dépasser 400000 €…
Ces propos sont contradictoires, c’est n’importe quoi, non ? Ils appellent un débat contradictoire pour y voir plus clair. L’archivage électronique est-il cher ? Est-il plus cher que l’archivage papier ? Que paie-t-on exactement ? Que doit-on payer ? Que veut-on payer ?
Il faut réhabiliter le contradictoire dans la formation. Il faut insister sur le préfixe « con » de contradictoire qui sous-entend la pluralité des opinions rassemblées (du préfixe latin cum : avec). Et éviter de glisser vers la pente fatale qui – influence américaine mal digérée ? – conduit à remplacer les « pour » et les « contre » par les « pros » (les pros, c’est nous, forcément) et les « cons » (les cons, c’est les autres, of course).
Vive la dispute ! Vive le contradictoire !
Juste pour le plaisir du contradictoire : si le débat a été abandonné dans les facultés et qu’il peine à se réimplanter, c’est qu’il peut vite tourner à l’exercice de style et au bachotage sans aucun apport de réflexions personnelles, quand les professeurs auront posé de manière récurrente les mêmes questions aux élèves, soit parce qu’elles leur paraissent incontournables, soit par paresse d’en chercher et d’en proposer (et donc d’en préparer) de nouvelles, soit par épuisement des sujets de débats. L’exercice ne sera alors profitable qu’aux premiers étudiants à expérimenter la chose, les autres se contentant de ressasser les réponses de leurs aînés validés par les enseignants.
Merci de votre commentaire. Je me fais donc un devoir de vous contredire…
L’exercice de style a souvent mauvaise presse. Il est pourtant formateur : quand on s’exerce à jouer le rôle d’un autre et à trouver ses arguments, on se rend compte qu’on peaufine les siens du même coup, sans compter qu’on peut être d’accord avec le point de vue que l’on doit défendre.
Les jeux de rôles sont une variante, plus prisée mais moins construite, me semble-t-il.
Quant à l’épuisement des sujets de débats, ma seule crainte est qu’il n’arrive dans un millier d’années et qu’on ne soit plus là pour en parler 😉