Pour écrire l’histoire, entre la période, très ancienne, où les vestiges archéologiques sont les seuls matériaux, et la période plus récente – mais glissante – où  des témoins oculaires peuvent contribuer à confirmer ou démentir les hypothèses, il n’y a que les archives, au sens large du terme, c’est-à-dire les documents des pouvoirs (officiels, administratifs, juridiques, comptables…) et les documents de l’esprit (livres, études, mémoires…).

Sans les archives, on est contraint à l’affabulation. Faute de traces écrites sur les actions opérées par les humains sur leurs semblables ou sur les territoires qui les environnent, on est obligé de conjecturer, d’observer la nature et les restes des civilisations. Pour ce qui est des dires et des engagements, on ne peut qu’imaginer.

Avec les archives, on a le choix. On peut :

  • soit solliciter poliment les archives, les interroger habilement et les confesser amicalement pour en tirer les informations propres à comprendre ce qui s’est passé ce jour-là, à tel endroit, avec telles personnes, dans tels contextes, etc. ;
  • soit les utiliser comme matériaux d’inspiration poétique, déconnectés des concepts d’authenticité, de temporalité et de vraisemblance,  pour créer une œuvre romanesque, une fable, ludique, loufoque, oulipienne, par exemple mettre les propos de Savonarole dans la bouche du Révérend Moon ou mettre en scène le mariage de Talleyrand avec Jeanne d’Arc (tiens, il faudra que j’essaie quand j’aurai un moment!).

Le respect du lecteur impose toutefois d’annoncer la couleur.

« Le recours à la fiction est certes une pratique courante, intéressante et légitime de l’écriture de l’histoire. Toutefois, le mélange des genres est contestable lorsqu’il n’est pas clairement exprimé ». Cette citation est de l’historien Guillaume Mazeau, dans un texte qui tance justement l’ouvrage fantaisiste et étrangement épique de Michel Onfray  sur Charlotte Corday (2009). Ce texte a été publié dans le livre Mais pourquoi tant de haine ? d’Elisabeth Roudinesco (Seuil, 2010) et repris en ligne sur ce site Internet consacré à Marat.

La difficulté qui persiste est que certains croient de bonne foi s’appuyer sur les archives et écrire une « histoire objective » (quelle drôle d’expression…) alors que manifestement – par ignorance, maladresse, suffisance ? – ils ne savent pas positionner les archives utilisées dans la cartographie des archives produites et conservées sur le sujet étudié, ils les lisent de travers et ils les trahissent plutôt qu’ils ne les exploitent.

Mais ce sont des choses qui s’apprennent. On doit apprendre à connaître et utiliser les archives pour écrire l’histoire, comme :

  • on apprend le chinois, pour converser avec des sinophones,
  • on apprend l’anatomie pour devenir médecin,
  • on apprend le solfège et la pratique du violon pour jouer le concerto pour violon n° 3 en sol majeur K. 216 de Mozart sans écorcher les oreilles de son auditoire.

Ceci dit, on peut décider librement de parler serbo-croate à un Chinois, de jouer le concerto susdit en tapant sur des casseroles, ou de soigner la rate par un emplâtre sur l’oreille gauche. Mais ça ne donne pas le même résultat…

 

 

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