Certains mots ont une couleur. La vigilance, c’est orange. Météo France l’a décrété. Les médias l’ont répété. Nous l’avons ingurgité.
Ce qui frappe dans cette vigilance orange prédominante, ce n’est pas seulement la couleur, c’est aussi le fait que la vigilance ne renvoie plus à un état de veille de personnes sur ce qui les environne et peut les menacer. La vigilance se présente comme un statut, accordé à un lieu, à une zone géographique ; on entend dire : tel département « est placé en vigilance orange ». La construction grammaticale passive (« est placé ») est frappante parce que paradoxale : les services spécialisés assument la vigilance et prennent des mesures préventives face aux débordements de phénomènes naturels ou humains. La population, elle, est invitée à rester chez elle et écouter les consignes. La vigilance est décrétée puis levée. C’est un objet que les autorités manipulent. Signe des temps, sans doute. Ne vous souciez de rien, soyez heureux, consommez, l’État, les banques et les algorithmes s’occupent de tout pour vous !
On serait tenté, en ayant fait un peu de latin ou d’étymologie, de croire que la vigilance consiste à être attentif, à observer les chose qui se passent, en relation avec des choses désagréables qui se sont passées auparavant pour mieux comprendre ce qui va peut-être se passer demain et donc anticiper. Mais non, la vigilance, c’est un truc qu’on dit à la radio.
J’avoue que, en matière de catastrophes naturelles, je pensais naïvement que la vigilance consistait, non pas à quitter sa maison de bord de mer ou de rivière quand les autorités le demandent via les médias après avis de tempête, mais à s’informer des risques d’inondation (sur un temps long que permettent aujourd’hui les archives) avant de construire une habitation en zone inondable. Manifestement, je ne suis à la page en matière de vigilance…
Mais je veille… J’ai ainsi appris que la vigilance n’était pas qu’orange. Elle peut quasiment revêtir toutes les couleurs de l’arc-en-ciel (pour une graduation des risques météorologiques, c’était tentant et cela ne manque pas de poésie, voire d’humour).
Il existe ainsi la vigilance rouge (orange très mûr, comme pour les feux de la circulation) qui n’a rien à voir avec le fait de voir rouge car quand on voit rouge, on n’est généralement plus en état de faire attention à quoi que ce soit… La vigilance jaune est une vigilance moins vigilante que la vigilance orange qui sert de référence. Logique.
La vigilance verte est ma préférée : c’est quand il n’y a pas besoin d’être vigilant. C’est la non-vigilance. Le concept est intéressant : le vert renvoie au non. Est-ce transposable ? À la lumière, à l’école, au paradis… ?
Pour poursuivre dans les couleurs froides, on trouve mention de la vigilance bleue avec des définitions divergentes : ici comme un intermédiaire entre la vigilance jaune et la vigilance orange (mystère des couleurs…) et là comme une vigilance dédiée aux océans (plus facile à comprendre). La vigilance violette s’applique aux situations extrêmes. C’est plus que rouge. C’est le maximum envisagé.
Il n’y a finalement que la vigilance indigo qui n’a pas (encore) droit de cité. Ce serait quoi ?
J’écarte tout de suite le lien avec la société de construction INDIGO (ex VINCI), encore que l’on pourrait en trouver un : VINCI a le monopole des parkings en région parisienne, ce qui peut alerter, d’une part, sur les parkings comme type de lieu requérant une vigilance certaine et, d’autre part, sur le phénomène de monopole qui n’est pas un très bon signe, ni économique ni politique
J’opte donc pour un hommage à D’Oultremer à Indigo, de Blaise Cendrars. Cendrars, pour avoir vécu l’enfer des tranchées et y avoir laissé un bras alors qu’il était étranger et engagé volontaire dans la Grande guerre, était, d’expérience, un observateur permanent, un homme vigilant en quelque sorte, un vrai.