Avoir confiance, c’est avoir l’intime certitude qu’on ne vous trompe pas.
La confiance n’est plus ce qu’elle était.
Jadis cohabitaient trois catégories de gens : les naïfs qui étaient prêts à acheter un élixir de jeunesse ou des casseroles magiques au premier bonimenteur baratinant le chaland sur la place du village ; ceux qui se défiaient de tout et de tous ; et ceux qui faisaient confiance à leur boucher pour la qualité de sa viande provenant de bovins qui ruminaient dans le pré voisin le mois précédent, à leur médecin de famille pour son empathie pluri-décennale, à l’instituteur pour sa méthode et sa patience et à d’autres personnes aux compétences diverses avec qui ils entretenaient une relation personnelle et de proximité, une relation de confiance.
Dans la société connectée, où la technologie et les réseaux peuvent multiplier par cent le nombre d’informations et par mille la possibilité de leur diffusion, ou plutôt par dix mille le nombre de données et par cent mille le temps de leur propagation, le rapport aux choses évolue. Toutefois, entre ceux qui cliquent sur tout ce qui bouge sans réaliser qu’ils s’engagent et aliènent leurs données personnelles, et ceux qui répondent aux spams leur annonçant qu’ils ont gagné à la loterie, la proportion des naïfs n’a pas faibli. Et il y a toujours un parti de ceux qui se défient du numérique comme du reste et qui refusent catégoriquement toute transaction sur le net.
Entre les deux se situe la majorité de la population qui cherche de nouveaux critères de confiance quand la relation humaine de proximité qui inspirait (ou non) confiance fait place à des outils sophistiqués, à un dispositif dont on ne peut appréhender humainement les tenants et les aboutissants. Que devient la confiance spontanée dans un monde où l’accès aux denrées alimentaires, à la santé ou à la connaissance dépend d’un système complexe qui ne fonctionne que par écrans interposés, où le code-barres remplace la vue et le toucher (par exemple, les petites rayures noires et blanches qui certifient que ces lasagnes sont fourrés à la viande de bœuf), où l’algorithme remplace l’expérience (logiciel anti-pollution dans les moteurs automobiles…), où la notification remplace la conversation, où les polices de caractères remplacent le tracé évocateur du manuscrit ?
La confiance numérique est en question. La confiance que l’homme peut accorder à l’outil numérique se résume le plus souvent à la fiabilité de celui-ci, une fiabilité technique ou mathématique. La confiance en la qualité, en l’authenticité, en la sincérité des choses est-elle vraiment la confiance en l’outil ou la confiance dans les humains impliqués dans la production et la diffusion de ces choses ? La confiance – ou la défiance – dans une machine ou une information peut-elle ne pas être liée à la confiance qu’y accorde une personne que l’on connaît et en qui on a confiance ?
Face à une passerelle qui enjambe un précipice, qu’est-ce qui peut inspirer confiance ? L’apparence de l’ouvrage aux poutrelles métalliques flambant neuves ? La notice d’un guide de voyage, publié par un éditeur que vous appréciez, qui vante sa qualité ? Le guide qui vous accompagne et qui vous rassure parce que vous lui faites confiance, à lui ? Le fait que plusieurs personnes viennent de la traverser sous vos yeux sans dommage ? Le fait que vous êtes déjà passé plusieurs fois sur des passerelles semblables ? Ou le fait que, avant de vous élancer à votre tour, vous avez pris soin de vous encorder à un solide tronc d’arbre ?
La confiance numérique a d’abord à voir avec la confiance dans une personne. Or, le numérique va vite mais l’humain requiert du temps.
Et la défiance ? C’est pareil.