Quelle confiance accorder à un article de presse, à un texte universitaire, à un écrit encyclopédique, voire à un billet de blog ?
Plusieurs éléments entrent en ligne de compte, et d’abord l’auteur. Il ne s’agit pas d’être nécessairement d’accord avec les commentaires des faits ou les opinions exprimées mais d’ajouter foi à l’exposé des faits commentés. On lit avec confiance le texte d’un auteur que l’on connaît déjà, qu’on a déjà lu et apprécié. Le capital confiance acquis par la lecture de précédents écrits fonctionne comme un crédit qui se reporte sur les nouveaux, avec le risque de la déception puis du discrédit en cas de défaillance par rapport aux attentes du lecteur.
Ceci suppose que le texte ait un auteur. Or, il y a des exceptions. Il est ainsi frappant de constater que depuis les turbulences qui ont agité la direction du journal Le Monde il y a deux ans, les éditoriaux du Monde sont non seulement anonymes mais encore se trouvent relégués en dernier page. N’est-ce pas paradoxal pour un éditorial ? L’absence de signature se veut peut-être une signature collégiale mais elle sonne surtout comme une cloche qui dirait « passez votre chemin, personne n’a pas grand-chose à dire ici ».
Quand l’auteur n’est pas connu, l’éditeur en tant que personne qui a choisi l’auteur, peut transférer sur lui son propre capital confiance. La personnalité de l’éditeur semble avoir perdu de son prestige depuis un demi-siècle dans le monde du livre imprimé et qu’il ne s’est pas encore affirmé dans le monde numérique. On parle beaucoup d’éditorialisation mais ce nouveau concept est assez technique, ras du texte et on cherche parfois vainement une vision éditoriale au sens des grands éditeurs des XIXe et XXe siècles.
Quand l’éditeur n’est pas plus connu que l’auteur, le critique peut être le vecteur de la confiance. Le critique est la personne qui connaît l’éditeur ou qui a lu l’auteur et qui, au travers de son analyse d’un écrit, va inspirer ou non confiance à son propre lecteur qui décidera alors de lire le document d’origine. La critique traditionnelle semble elle aussi en perte de vitesse ; les comptes rendus de lecture se font plus rares que naguère ; les publications, peut-être trop nombreuses ou trop légères, sont signalées, référencées, citées, mais finalement peu critiquées, sans doute parce qu’Internet permet au lecteur de butiner directement des informations sur l’auteur, de voir des images, de lire des extraits, de voir le nombre de likes sur les réseaux sociaux ; sans doute aussi parce que l’immédiateté ambiante empêche d’attendre qu’un critique ait pris le temps de rédiger une analyse complète sur la publication en question et pousse du même coup le critique à expédier un avis superficiel ou de complaisance. Dommage.
Dans le domaine universitaire, on pourrait se fier, pour la qualité des textes, au diplôme de l’auteur mais les différentes affaires de plagiat révélées ces dernières années ont mis en évidence la négligence et la légèreté de ces jurys qui ne lisent pas les thèses ou n’osent pas les noter à leur juste valeur.
À qui se fier alors ?
Les références, les liens hypertextes vers les sources utilisées, ont cette fonction de prouver le sérieux de l’article en donnant au lecteur le moyen d’aller vérifier par lui-même la véracité de ce qui est avancé. Est-ce la panacée ? Certes, l’absence de toute référence dans l’exposé d’un fait peut être suspecte (le meilleur exemple sur le sujet est le canular de Shane Fitzgerald, cet étudiant irlandais qui, en 2009, a piégé The Guardian et d’autres journaux en ajoutant dans la biographie de Maurice Jarre sur Wikipédia un récit de son invention, juste pour prouver le manque de rigueur des journalistes). Mais l’excès de références produit l’effet inverse. Quelle confiance accorder à un texte farci de références à chaque ligne ? La concaténation de citations est-elle un garant de l’exactitude et de la pensée ? Qui vérifie les références ? Il est du reste assez facile de fabriquer des liens sans véritable valeur intellectuelle ; beaucoup ne s’en privent pas.
Reste la consistance de l’article lui-même, sa logique, sa vraisemblance, sa cohérence ; là, au moins, on devrait n’avoir besoin de rien ni de personne pour se faire sa propre idée de la valeur d’un texte. Il faut juste un peu d’esprit critique…
C’est finalement comme pour les champignons : pour savoir ce qui est comestible ou toxique, savoureux ou insipide, on peut se fier au guide touristique, au mycologue averti ou au pharmacien, mais surtout à son éducation et à sa propre expérience.
La fiabilité de l’information est devenue un sujet important dans l’enseignement. Avant, c’était simple : il y avait le prof qui avait la science infuse, et éventuellement le manuel scolaire qu’on pouvait lui opposer en cas de (très rare) contradiction. Désormais, tout le monde a accès à Internet, et nos élèves ne s’en privent pas. La parole du professeur est devenue une source de renseignements parmi d’autres, en concurrence constante avec d’autres.
Dans mon cursus, j’ai abordé pour la première fois la question des sources à l’université pendant mes cours d’histoire. Aujourd’hui, certains abordent cette question dès l’école primaire. En tant que documentaliste de collège, j’y suis confrontée chaque jour. Comment donner des repères fiables à des enfants qui n’ont ni la maturité ni les connaissances nécessaires à se faire leur propre opinion ? Comment développer si tôt un esprit critique sans développer son pendant négatif, la conspirationnite ?
La seule chose que j’ai trouvé pour le moment, c’est de faire preuve avec eux de la plus rigoureuse honnêteté intellectuelle et de prendre le temps de discuter de leurs sources d’information, aussi farfelues nous semblent-elles. Et de, petit à petit, gagner leur confiance pour devenir sinon une source d’information, du moins une personne fiable qui peut valider (ou pas) l’information.
Merci de votre fidélité, Valérie.
La question est délicate en effet. Il me semble que les exemples concrets, positif et négatif (vrai et faux), sont un moyen de faire comprendre que tout n’est pas fiable. Je pense aussi que la confiance doit d’abord porter sur les personnes avant de porter sur les choses.
Les élèves comprennent parfaitement que tout n’est pas fiable, et cela très jeunes. Ils sont très attentifs à obtenir de la bonne information, dès que le sujet leur parait important. Mais ils sont aussi capables de jouer avec l’information : ils vérifient toujours deux fois qu’un professeur est bien présent, mais il suffit d’une rumeur de couloir pour décréter que le professeur est absent…
Souvent, ils sont à la recherche de tiers de confiance. C’est ce que je cherche à devenir pour eux, et ça marche à condition d’aller un peu plus loin et de leur donner les clés de validation que j’utilise pour leur présenter cette information comme juste, et pas seulement de s’appuyer sur l’argument d’autorité. C’est un effort très payant, mais que certains de mes collègues ont du mal à mettre en place, non pour des questions de temps mais pour des questions de principe du genre « on ne remet pas la parole du prof en doute », par peur de manquer d’autorité. Et c’est justement l’inverse qu’ils obtiennent : manque de confiance en leur parole et donc sape de l’autorité.
L’expression « tiers de confiance » est essentielle. Il faudrait la généraliser, au-delà du cercle des prestataires en sécurité et archivage.