Dans son édition du 26 mars 2016, quelques jours après les attentats de Bruxelles, le journal Le Monde publie un ensemble de dix-sept petits textes sur le thème de la résistance. Le terrorisme a réveillé un concept que les médias réservaient il y a peu encore, en page « éducation », au Concours national de la Résistance et de la Déportation organisé avec les associations d’anciens combattants pour les collégiens.
Les diverses facettes du concept de résistance sont abordées par les uns et les autres [les mots en gras sont de mon fait] :
- le fait de tenir bon face aux insultes ou aux mauvaises influences (Ismaël Saidi) ;
- la résistance peut être une affaire individuelle mais elle est surtout une affaire collective (Pascal Couvert) ;
- « Nommez l’ennemi, nommez le mal, parlez haut et clair, tout est là, le reste est détail, il relève de la technique » (Boualem Sansal) ;
- « résister, c’est aussi combattre ces clichés, ces préjugés et ces imprécisions du langage et de la pensée » (Ruwen Ogien) ;
- résister à la tentation d’ajouter à la confusion, et « refuser de relayer les rumeurs et les photos de corps » (Damien Leloup) ;
- il faut se garder de transformer la résistance en « surenchère répressive » et « refuser de détruire [l’État de droit] au motif de le défendre » (Mireille Delmas-Marty).
La principale citation que je veux retenir se trouve sous la plus d’Annette Wievorka, historienne (et ce n’est pas un hasard…) : « Car le plus difficile, […], c’est bien de comprendre ce monde nouveau et mouvant dans lequel nous vivons ».
Comprendre et connaître le contexte avant d’opérer un acte de résistance efficace. Ce qui veut dire aussi que la résistance s’inscrit dans le temps, et que le temps passé et le temps à venir ne sont pas dissociables du temps présent. Or, la dimension temporelle est assez peu présente dans cette série de textes sur la résistance.
Résister pourquoi ? Parce qu’on veut préserver l’intégrité de personnes, de territoires, de biens et de valeurs qu’on ne veut pas perdre, pour pouvoir en jouir encore demain.
Comment résister ? En se blindant le jour où l’ennemi a déjà frappé ou en anticipant les risques grâce à l’analyse des éléments qui interagissent, avec leur évolution respective et leurs incompatibilités, et en réfléchissant à des alternatives à la confrontation délétère ?
Quand faut-il agir ou au contraire s’abstenir ? Est-il parfois trop tôt, ou trop tard ?
Je prends l’exemple, très banal, d’un document d’archives face à l’usure du temps (mais on pourrait tout aussi bien penser à une plage face à la montée du niveau de la mer, aux femmes enceintes face au zika ou à la tranquillité des internautes face aux publicités intrusives).
Donc, une personne constate que tel document un peu ancien auquel elle tient est déchiré ; pour le rendre plus résistant, elle va le barder de bandes de scotch. Emplâtre éphémère ! Car le scotch est, à moyen et long temps, un ennemi avéré des archives ; l’acidité de la colle va attaquer le papier et le jaunir puis se détacher du papier. Dans cet exemple, le remède est pire que le mal. Si l’on sait cela, on saura qu’il faut procéder autrement pour contribuer à la résistance du document (voir les techniques de restauration par exemple ici). Et on sera aussi sensibilisé au fait que, s’il est trop tard pour mieux produire ce document-là, la production de nouveaux documents de valeur doit intégrer les principes de conservation dès le départ (en numérique comme en papier d’ailleurs).
Moralité : ignorance et superficialité pervertissent les actes de résistance.