Après la jouissance, parler de réjouissance est naturel, même si la relation entre les deux notions, au travers du préfixe « re » (sans doute le préfixe le plus attachant de la langue française) n’est pas évidente car il n’exprime là ni la répétition de la jouissance ni un retour à celle-ci.
La réjouissance est simplement le fait de se réjouir, d’éprouver de la joie. Pour ma part, je me réjouis quotidiennement.
Je me réjouis de l’usage d’Internet où je peux, tantôt en un clic, tantôt avec trois clics et un peu d’esprit critique, vérifier une information historique qu’il était naguère parfois bien long de trouver même en disposant du Quid ou de l’Encyclopédie Universalis .
Je me réjouis de ce qu’une grande majorité des gens réagissent positivement aux publicités intrusives des sites gratuits (sans quoi le système s’effondrerait) ce qui me permet, moi qui ignore largement cette publicité, d’accéder au système financés par les autres, merci à tous !
Je me réjouis de recevoir bien moins de spams qu’avant dans ma boîte de messagerie, sans avoir fait grand-chose pour cela du reste ; et je ne voudrais pas en recevoir moins car je trouve là-dedans quelques spécimens intéressants pour alimenter ma collection ou plutôt mon corpus de spams dans le cadre de mes recherches de diplomatique numérique.
Je me réjouis de ne plus recevoir de notifications scabreuses de la part d’Amazon depuis que j’ai stoppé mes achats en ligne sur cette plateforme (« vous avez lu Les sept nains, vous allez adorer Les huit salopards », etc.).
Je me réjouis de pouvoir échapper facilement aux tentacules des médias officiels du pouvoir et de l’argent en ayant accès à d’autres sites, où je lis d’autres journaux, d’autres pays et d’autres cultures échappant à la bien-pensance.
Je me réjouis d’avoir le loisir d’expérimenter les réseaux sociaux, et de bénéficier de leurs avantages (publications d’articles, mise en relation, nouvelles des personnes de connaissance, tendances) sans trop pâtir de leurs inconvénients (publicité « ciblée », utilisation des données personnelles, changement des règles sans prévenir) grâce à quelques astuces de comportement.
Je me réjouis de pouvoir publier mes écrits sur mes blogs et sur le réseau Linkedin, sans avoir à me préoccuper des lettres de refus de manuscrits qu’écrivent les éditeurs, souvent trop académiques et trop conformistes.
Je me réjouis de pouvoir, grâce à mon smartphone, prévenir des amis qui m’attendent que j’aurai un peu de retard, tout comme je me réjouis de ne pas actionner le GPS et de prendre le temps de comprendre et respecter la géographie physique et humaine des lieux où je me déplace.
Je me réjouis de pouvoir adresser un mot de félicitations, de consolation ou d’encouragement à un être cher à l’autre bout de la planète et qu’il suffit de quelques secondes pour qu’il lui parvienne.
Et je me réjouis parce que j’ai appris à l’occasion de ce billet que la réjouissance est un terme de boucherie qui désigne un bas morceau ou un os que les bouchers incluent dans la viande pesée, depuis une ordonnance d’Henri IV qui imposa que la viande, déjà fort chère, serait vendue au peuple sans os, les os étant pesés avec les morceaux de qualité supérieure, ce qui causa au peuple une grande joie (voir l’anecdote ici).
Bref, le monde connecté choisi et non subi est une réjouissance perpétuelle.