Du point de vue judiciaire, l’instance est en général première ou grande (à noter cependant que les grandes premières peuvent aussi avoir lieu à la cour de cassation ou dans des tribunaux d’exception).
Au pluriel, les instances sont géographiques (municipales, régionales, nationales, européennes – avec ou sans la Grande-Bretagne), thématiques (judiciaires, académiques, consulaires, hospitalières) ou liées à un degré de pouvoir (gouvernementales, représentatives, paritaires, consultatives).
L’étymologie d’instance n’est pas évidente. Le mot est pourtant très simple de construction : un préfixe, in, qui signifie « entrer » (avec mouvement) ou « à l’intérieur » (une fois qu’on est entré) ; une racine verbale, sto, qui veut dire « être là », « se tenir debout » ; et un suffixe, ance, pour indiquer le fait ou l’action de quelque chose. L’instance, c’est donc d’abord le fait de se tenir à l’entrée de ou dans quelque chose. Le mot est finalement très visuel : on imagine bien un solliciteur, c’est-à-dire une personne qui présente une requête (une instance), entrer dans la pièce où se tient l’autorité qui a le pouvoir d’y répondre ; on voit l’intéressé glisser son pied dans l’entrebâillement de la porte pour prier instamment qu’on l’écoute. Le solliciteur, paradoxalement, fait le siège de l’autorité tout en restant debout… L’autorité, elle, siège (les fauteuils sont généralement assez confortables) ce qui fait qu’elle est en général moins pressée que les demandeurs. Il y a pourtant dans la notion d’instance une connotation d’imminence (on ne va pas rester le pied coincé dans la porte pendant des lustres : c’est oui, ou c’est non, mais décidez-vous !).
Et les documents dans tout ça ? (aurait-dit le regretté Jacques Chancel)
Eh bien, il y a deux cas de figure : le document en instance et l’instance de document.
Le document en instance est un phénomène assez connu. Le document (une requête, une réclamation, un projet de décision, etc.) est là qui attend que le chef le valide et y appose sa signature. Les demandes doivent être instruites et les réponses doivent être validées, c’est normal. Ces types de documents doivent donc faire antichambre avant de passer à l’étape suivante de leur vie administrative. Cette situation est quotidienne. Le problème est quand l’imminence s’érode et que le document en instance devient un document en souffrance…
L’instance de document n’est connue que de quelques spécialistes de l’information et c’est bien dommage. Le mot instance est là un anglicisme utilisé notamment dans l’activité informatique appelée « programmation orientée objet » ou POO : on crée des classes d’objets informatiques (on pourrait dire types d’objets, ou modèles, au lieu de classe) ; chaque objet créé portant les caractéristiques de la classe est une instance, c’est-à-dire un exemple d’objet dans cette classe. De là, le verbe instancier pour désigner l’action de créer un exemple, un objet particulier, à partir du modèle.
Cette notion se retrouve dans la gestion de la qualité des documents en entreprise où l’on distingue le modèle de document et sa déclinaison dans telle situation, par exemple : un modèle de rapport de test en entreprise et chacun des rapports créés selon ce modèle par tel ingénieur dans tel atelier tel jour, autrement dit chacun des « enregistrements » (ou « records ») lié à un modèle de « document » pour reprendre le langage des qualiticiens.
Ce qui m’étonne sur ce sujet, c’est que la langue française n’ait pas un mot courant pour décrire cette réalité quotidienne d’un document particulier créé à partir d’un modèle (document qualité, imprimé CERFA, modèle de document bureautique, etc.). Cette lacune donne lieu à des quiproquos récurrents quand on ne sait pas, au sujet d’un nom de document (rapport de test, attestation, relevé…), si on parle du type de document en général ou d’un document en particulier. Le mot instance n’est pas plus mauvais qu’un autre pour désigner le document particulier. Et il n’a pas beaucoup de concurrents.
J’ai parfois des doutes sur la qualité du vocabulaire professionnel, en l’occurrence pour mon domaine professionnel (encombré par ailleurs de mots insignifiants ou trompeurs)… J’ai donc en proportion des envies de le préciser.