En réponse à une requête sur le mot nuance, les moteurs de recherche font encore ressortir en tête les Cinquante nuances de Grey (ou de gris, ou de gré ou de force…) mais ces nuances érotiques-là, qui n’ont même pas l’âge de raison, passeront, comme le café…
Les « vraies » nuances de gris sont bien plus nombreuses ; on en distingue, informatiquement parlant, plus de 65000 dans un codage de l’image de 16 bits par pixel (65536 précisément, soit 216)… Le codage en 8 bits par pixel n’en permet « que » 256 ce qui est déjà confortable pour scanner une photographie argentique (il suffit, pour en faire l’expérience, de scanner la même photo papier noir et blanc une fois en « format noir et blanc », une fois en « format nuances de gris », tandis que le scan d’un document écrit peut, lui, se révéler au contraire parfaitement illisible en nuances de gris et nécessiter une copie en noir et blanc).
Dans le monde physique, les nuances de gris, celles auxquelles les imprimeurs, les peintres en bâtiment, les marchands de papier peint et quelques autres professions ont donné des noms (et non des codes) ne sont que quelques dizaines, empruntés le plus souvent aux éléments de la nature (minéraux, animaux…) : gris ardoise, gris perle, gris tourterelle, gris souris (le gris rat n’est pas identifié, bien que les gros rats gris pullulent dans les sous-sols parisiens)… Le site de création graphique Creads dit avoir compté 148 nuances de gris sur un nuancier Pantone.
Combien de couleurs un humain peut-il reconnaître à l’œil nu ? Les avis sont partagés. Cela dépend bien sûr de l’environnement culturel et de la pratique professionnelle : de quelques dizaines à plus de 350 pour les graphistes plus expérimentés rapporte Creads. Mais pour le commun des mortels, l’expert américain LeRoy Bessler, dans son étude Communication-Effective Use of Color for Web Pages affirme que l’œil humain ne peux faire clairement la distinction qu’entre cinq nuances de gris ou, du reste, cinq nuances de n’importe quelle couleur.
Les nuances de gris me font penser, phonétiquement (et compte tenu de mes obsessions intellectuelles), aux nuances d’écrit, sujet quasiment vierge (c’est toutefois le titre d’une émission de radio de Nouvelle-Calédonie en 2015) mais qui, justement, retient mon attention.
Je gagerais volontiers que les nuances d’écrit sont aussi nombreuses que les nuances de gris. La gamme des différences, des subtilités, des degrés, des variantes, entre le noir et le blanc, ou entre le blanc et le noir, entre le rien et le tout, entre le rien que représenterait l’absence d’écrit et le tout que constituerait l’acte parfait, ces nuances donc tiennent – et c’est cela qui est intéressant – autant :
- à la forme physique du document et à son apparence (le cahier, le registre, le diplôme mérovingien, le codex, le plan, le tableau, la liste…) ;
- à sa portée, c’est-à-dire à l’engagement juridique et moral qu’il contient (de la loi à la circulaire en passant par le décret et l’arrêté, de la politique au mode opératoire en passant par la directive et la procédure, des notes de réunion au procès-verbal en passant par le compte rendu formel ou informel) ;
- à sa valeur de preuve au moyen de ses circuits de validation et de diffusion (traces de consentement, enregistrement au départ et à l’arrivée, visas ou faire-suivre, nombre d’exemplaires et tout autre indice qui permet de croiser les éléments d’information pour aboutir à la conviction de la réalité des faits).
Il y a aurait des cours entiers à remplir pour enseigner aux professionnels de l’information à distinguer et à nommer toutes les nuances de l’écrit.
C’était un petit couplet de diplomatique (et pas d’archivistique, nuance !).