Tout le monde peut prétendre à la délivrance pour peu qu’il se trouve prisonnier ou oppressé par un poids physique ou moral (en souhaitant que l’attente ne soit pas trop longue).
Il en va de même pour les choses qui, elles aussi, peuvent prétendre à la délivrance.
Pour les humains, la délivrance, comme la libération (les deux termes sont synonymes), met l’accent sur le soulagement de l’intéressé débarrassé de son fardeau, sur sa sensation de liberté. Mais le préfixe dé– (mon préféré de la langue française avec re-) souligne en plus la rupture entre l’état précédent (négatif) et le nouvel état (positif). La délivrance traduit un changement et une amélioration.
Pour les choses, qui ignorent – jusqu’à preuve du contraire – le statut de chose libre ou de chose prisonnière, la délivrance traduit tout bonnement un changement de propriétaire ou du moins de détenteur.
La chose délivrée – un bien, un titre ou un permis, un diplôme ou un médicament – est remise par une personne à une autre. Et ce qui caractérise cette remise, ce qui lui vaut le terme un tantinet pompeux de délivrance est que l’opération s’effectue dans un cadre réglementaire ou contractuel et, en général, est enregistrée, à des fins de preuve :
- le pharmacien délivre les médicaments sur la foi d’une ordonnance médicale en bonne et due forme ;
- la préfecture délivre un titre de séjour, après vérification que le dossier du requérant est conforme aux circulaires en vigueur ;
- l’université délivre un diplôme sur la foi des résultats aux épreuves correspondantes ;
- un entrepreneur individuel délivre à son conjoint (s’ils vivent en communauté de biens) une information sur son activité commerciale et/ou artisanale (les personnes intéressées trouveront ici un modèle d’attestation de délivrance d’information).
La délivrance de documents est également une activité récurrente dans les relations contractuelles entre les entreprises et leurs prestataires : étude technique, note d’expertise, rapport de test, manuel de formation, etc. L’ensemble de ces documents est très précisément désigné par le terme générique de livrables, que certaines personnes appellent « délivrables » (par transposition de l’anglais delivrables). Ce qui est notable est que le suffixe -able indique ordinairement une possibilité, le fait qu’une chose peut se produire mais pas systématiquement qu’elle doit se produire (arable, guéable, guérissable, échangeable, discutable, démontable et éjectable). Or, dans une mission dûment contractualisée, les livrables sont obligatoires. Leur non-délivrance constitue même une faute avec ses potentielles conséquences financières et juridiques (inconfortable, regrettable et préjudiciable).
On considère généralement la délivrance comme la fin d’un processus, ce qui est restrictif. La délivrance, d’un être ou d’un document, est tout aussi bien le début d’autre chose, le point de départ d’une suite ou d’un autre processus, une étape lisible, un repère, dans le mouvement incessant des activités
Pour ma part, avec la délivrance de ce billet, je clos un lustre de billets hebdomadaires suffixés à l’année (-ité, -o, -oire, -ule et -ance) initié à l’été 2011, sans contrainte réglementaire mais avec une auto-contrainte oulipienne, et sans contrat sinon avec moi-même, ce qui n’est paradoxalement pas toujours plus facile à gérer…