Je suis abonnée au journal Le Monde sous forme numérique depuis quelques années. La différence avec le journal papier que l’on peut feuilleter à sa guise est que l’abonnement numérique permet de « bénéficier » de quatre ou cinq mails quotidiens « poussant les contenus » (pour utiliser une expression que je n’aime guère).
Le problème, pour moi, tient aux slogans racoleurs qui accompagnent ce poussage ou cette poussure de certains contenus.
Il y a d’abord, pour attirer l’attention, la numérotation, très à la mode sur le net et dont je me suis déjà moquée :
Ces formules sont plus largement celles du monde scolaire :
C’est une tendance générale, web oblige, et Le Monde n’est seul dans cette chasse aux papillons-lecteurs. Les Echos, par exemple, y vont franco aussi :
La cible est manifestement le lecteur pressé et avide d’être le premier dans son entourage à être « informé », ou plutôt un consommateur de brèves et de « prêt à savoir », de fast news… C’est un choix de la rédaction. Pourquoi pas, du reste ? Et si vous n’aimez pas ça, n’en dégoutez pas les autres.
En tant qu’abonnée, je me pose cependant la question : est-ce le rôle du journal de se positionner quotidiennement en professeur, en donneur de leçons au petit pied ?
En tant qu’enseignante, je réponds que le vrai professeur a pour but d’apprendre à pêcher et non de distribuer du poisson.
Bref, ces formules journalistiques ont, sur moi du moins, un effet repoussoir.
Personnellement, ce que je demande à un journal d’information est de l’information, c’est-à-dire la narration des faits au plus près de l’idée que je me fais de la déontologie journalistique (situer les faits dans leur contexte, les décrire du général au particulier ou les raconter du début à la fin, être exhaustif, citer ses sources), dans la ligne éditoriale du journal, avec des commentaires, forcément subjectifs, signés de leur auteur (un subjectif explicite est plus instructif qu’un prétendu objectif). Mes déceptions sur ce plan vont grandissant.
Je ne peux m’empêcher de rapprocher ce comportement (finalement assez prétentieux vis-à-vis du lecteur traité comme un incapable à sélectionner lui-même les informations pertinentes ou importantes pour lui) de la récente promotion par le même Monde de son logiciel Décodex, un moteur de recherche pour repérer les fausses informations ou fake news.
Évidemment, je suis allée voir et j’ai testé. J’y vois principalement une base de données avec une liste de sites Internet (limitée) et une note « faux » / « vrai » / « attention »… ; pas grand-chose de réellement pédagogique là-dedans. Malgré l’avertissement « Il ne s’agit pas d’un jugement de valeur pour distinguer des « bons » et des « mauvais » sites, mais d’une aide de lecture », il s’agit surtout de recommandations simplistes émises par une équipe de « décodeurs » anonymes… Bof !
J’ai donc été surprise du concert d’applaudissements à cette nouvelle, y compris à l’étranger, y compris de la part des professionnels de l’information (mes collègues). Car si l’identification des intox et autres rumeurs est une nécessité compte tenu de leurs conséquences sur la planète, l’outil Décodex est-il si séduisant ? Et est-ce là, encore une fois, le rôle d’un journal ? Le Monde est juge et partie. C’est la réflexion qui m’est venue à l’esprit tout d’abord et j’ai été réconfortée de lire à ce sujet l’article d’Elisabeth Lévy dans Causeur du 2 février 2017 et celui de Daniel Schneidermann dans Libération du 5 février 2017.
En conclusion, s’il y a un site pour lequel ma confiance s’est effritée, c’est bien celui du Monde.
Pour échapper à ce désagrément récurrent, j’ai donc décidé de ne pas renouveler mon abonnement au journal, arrivé à échéance ce mois de février. J’ai pris en revanche la bonne résolution de renouveler ma façon de m’informer ailleurs, avec ma fidèle amie la Sérendipité.
je comprends que leur approche peut être ennuyeuse, mais il faut le comprendre dans le contexte actuel. Les journaux sérieux perdent des lecteurs (et donc des sous pour continuer à fonctionner) en faveur des News Feeds et des filtres subjectifs (si je peux dire) de Facebook et Twitter. Ils luttent pour retenir leur public à qui ils offrent encore des informations et des analyses fiables. Mais aussi, le contexte politique, depuis les élections aux USA, des textes mensongères (je préfère au « fake news » car il ne s’agit pas de « news » mais de mensonges) dont les sources sont pour la plupart des groupes proto-facho, racist, etc qui essaient de déstabiliser encore plus un électorat peu cultivé (je pense aux américains qui ont voté pour Trump ou aux britaniques pour le Bréxit sans vraiment saisir ce qui allait suivre). Il faut lutter contre ces facteurs qui polluent notre environnement informationnel et pire, nous menacent dans nos démocracies. Quant aux décodeurs qui sont d’évidence pas qualifier pour faire un tri nécessaire, voici une opportunité Marie-Anne, pourquoi pas proposer des formations sur mesure pour ces personnes ni-journaliste ni-archiviste ni-documentaliste, il y a peut etre un marché à prendre !
p s en faisant un petit erreur (a cause de changement de clavier de francais en anglais)dans le Captcha, tout mon text a disparu sans laisser une trace. Pas de seconde chance – il fallait tout recommencer !
Merci pour ce long commentaire, Susan.
Je vois bien les enjeux et la montée en puissance de la désinformation au plan international. Je reconnais l’urgence d’y apporter des parades mais il arrive parfois que le remède soit pire que le mal. C’est ce qui m’inquiète un peu. La simplification est utile si elle est pédagogique et apprend à raisonner plutôt qu’à cliquer sur « LE site qui sait ». La diffusion de l’esprit critique est nécessaire pour résoudre le problème qui, on est d’accord, doit être maîtrisé. On verra à l’usage mais il faut être vigilant.
Pour l’expression « fake news », j’ai cédé au jeu de mots mais je suis d’accord avec toi pour parler plutôt de mensonges. Je dirais même « forgeries » pour prendre un terme de diplomatique quand le récit est forgé de toutes pièces.
En tout cas, merci du conseil de proposer des formations à la critique de l’information. J’y songe très sérieusement !
PS : mon « truc », pour éviter les disparitions inopportunes en ligne : je saisis toujours mon texte sur un document à part 🙂