Voilà que j’ai envie de renouer avec les billets « suffixés » (en –ité, –o, –oire-, –ule et –ance) qui ont caractérisé ce blog de 2011 à 2016. La contrainte oulipienne de la terminaison est en effet très stimulante pour l’écriture (mais j’abandonne toute autre contrainte, de périodicité ou d’exclusivité).
Parce que mon propos est ici de défendre les couleurs de la langue française (face aux ternes terminaisons en -ment ou en -tion) autant que de critiquer la société de l’information, j’ai choisis un suffixe riche, à allure d’interjection, porté par de vieux mots français ou des mots d’argot que je chéris les uns comme les autres. Bref, ce sera -ouille, une sonorité qui me taquine depuis longtemps (voir mon poème de jeunesse). Et je commence par la lettre B : Bouille.
Bouille a la même étymologie que bulle et désigne d’abord un récipient, un contenant, un bidon pour recueillir, selon les régions, le lait, le vin, le raisin, l’avoine ou le charbon. Au sens figuré, la bouille, c’est la tête, le visage (le bidon, c’est plus bas).
Fondamentalement, la bouille est bonne.
La bouille est bonne comme la tronche est sale et comme la gueule est grande. C’est connu.
À noter que j’aurais pu choisir comme illustration une autre idole – par exemple en allant piocher dans le panthéon égyptien – et vous montrer la bouille à Bès mais j’ai craint l’irrévérence (et d’ailleurs, il n’est pas prouvé que les dieux aiment le poisson).
Donc, le mot bouille a sur ses concurrents un avantage énorme : sa bienveillance. Or, les mots ne sont pas neutres dans les relations humaines. C’est pourquoi, introduire dans les curriculum vitae la « photo de bouille » ou lieu de la photo d’identité contribuerait à n’en pas douter à l’empathie du destinataire du CV (un « Voyons voir la bouille de cette candidate ! » est plus à même de conditionner favorablement le recruteur qu’un froid « À quoi elle ressemble ? ». Ceci pour le CV classique, sur support papier ou au format PDF.
Sur les réseaux sociaux, le terme aujourd’hui consacré pour présenter un individu est le « profil » (anglicisme sur un mot français issus, l’un et l’autre du latin, scénario courant et pourquoi pas ?). Comme le CV (prononcé cévé ou civi, c’est toujours du latin), le profil inclut une photo, le plus souvent de face, parfois de profil (au sens français). On a donc des photos de profil de face et des photos de profils de profil. Vous suivez ? Je comprends que certaines personnes soient rebutées par les réseaux sociaux… Mais il ne faut pas se focaliser sur cette question car que le visage paraisse de face ou de profil n’est pas crucial ; ce qui importe, c’est une photo qui présente la tête de la personne, sous son meilleur jour. C’est pourquoi, je propose de simplifier la formulation en parlant ici aussi de « photo de bouille », expression aussi euphonique qu’expressive pour les amis, aussi précise qu’apaisante pour les chasseurs de têtes.
En revanche, la bouille n’est pas adaptée à la photo d’identité officielle. Du moins, cela mérite débat. Si on se rapporte aux exigences de l’administration, le visage photographié doit être non seulement dépouillé de tout objet pratique (lunettes) ou esthétique (piercing) mais encore exempt de toute expression, même de joie ou de politesse. Dans ce cas, il est évident que l’expression « photo de tronche » est plus appropriée. D’un autre côté, on peut se demander si le terme bouille appliqué par décision administrative à une tronche qui fait la gueule ne serait pas de nature à créer malgré tout un sentiment débonnaire chez le vérificateur des papiers d’identité. À voir.
En tout état de cause ,bouille est un mot chaleureux et il faudrait l’employer davantage au quotidien. Attention toutefois à ne pas être trop familier et à ne pas donner dans le diminutif (avec bouillotte, le risque serait que ça chauffe trop…).