1. La société est numérique. 2. La communication passe par l’image.
Mais comment est illustrée la notion de données numériques sur le web ?
Il y a toute une littérature sur « l’or noir du numérique » (L’or noir du numérique, le big data nous livre ses secrets ou Big data: les coulisses de la course à l’or noir du numérique)
Mais le numérique n’est pas noir. Non, non, non : il est bleu !
Les 0 et les 1 sont majoritairement bleus, ou plutôt blancs sur fond bleu, dans les illustrations d’articles sur les données numériques. Certaines images sont presque des classiques :
Assez souvent, les images dénotent une volonté de dépasser l’âpreté des chiffres pour revenir à quelque chose d’un peu plus parlant pour les humains, c’est-à-dire les lettres :
Côté couleur, on note une petite tendance au vert, tandis que le rouge et noir (trop stendhalien pour notre siècle probablement) est très minoritaire :
Évoquer de gros volumes de données est assez facile à l’aide d’une image de data center qui rappelle assez bien une image de rayonnages d’archives papier. On est dans le stockage de masse :
Mais quand il s’agit de l’unité documentaire (fichier, dossier, objet de données), que peut-on montrer ?
L’idée de cet article sur l’illustration du numérique remonte à l’été 2014 avec l’action de Maximilian Schrems contre Facebook. Ce jeune Autrichien avait porté plaindre en 2011 contre la firme californienne (Facebook Irlande plus précisément) en l’accusant de ne pas respecter sa vie privée, et il avait gagné son procès (4 ans environ avant la mise en application du Règlement général pour la protection des données personnelles en mai prochain). Les articles sur l’affaire Schrems étaient le plus souvent illustrés par cette photo des 1200 pages imprimées du CD envoyé par Facebook au plaignant et contenant copie de ses données :
La pile de papier, certes plus parlante que l’image du disque, m’avait tout de même laissée perplexe : le tas de papier serait donc la meilleure façon d’illustrer les données ?
Il y a quelques mois, j’évoquais ce paradoxe avec Carole Guelfucci, blogueuse dans le domaine de l’information juridique, et nous sommes tombées d’accord qu’il était bien difficile d’illustrer certains concepts qui correspondent à des disciplines ou à des domaines d’études, tels le droit (qui est sa spécialité) ou l’archivage (qui est la mienne). Carole me faisait remarquer que les articles relatifs au droit sont généralement illustrés par les sempiternels code Dalloz (il est vrai que le rouge flashe), fronton du tribunal, marteau du magistrat ou robe d’avocat. Elle s’est alors intéressée aux efforts de divers cabinets d’avocats pour sortir de ces représentations vieillottes dans l’illustration de leur site web (lire l’article).
Le recours aux documents papier pour illustrer un propos sur les données numériques reste courant, soit parce que l’offre d’images est faible pour le numérique, soit par association d’idées (il y aurait matière à analyser plus à fond ce choix d’image, forcément révélateur d’une vision de transformation des objets en numérique plutôt que d’une véritable mue numérique):
Toutefois, ces derniers mois, la vague bleue semble l’emporter :
Autre remarque : le bleu numérique s’oppose, au plan visuel, au jaune, par exemple avec cette image :
Le jaune est la couleur de l’icône « dossier » de Windows. Or cette icône skeuomorphe évoque par son dessin les dossiers suspendus des armoires où l’on classe traditionnellement le papier. Ainsi, même dans une arborescence informatique, le classement « jaune » renvoie au papier. Sans parler des « vieux papiers » jaunis par les décennies de stockage humide et acide. Sans parler des parchemins d’antan tirant eux aussi naturellement sur le jaune. Document jaune, donnée bleue, or noir… Qu’en aurait pensé Arthur Rimbaud ?
On parle beaucoup d’innovation, notamment pour le numérique, mais il faut reconnaître qu’en matière d’illustration de cette matière numérique, l’innovation n’en est qu’à ses débuts :
J’attends avec impatience ce qu’ingénieurs et artistes proposeront pour visualiser la forme, la valeur, le poids ou l’usage des données numériques, de manière générale ou particulière, et surtout ce que le public retiendra.
Pour l’instant je note toutefois une tendance intéressante : celle d’illustrer son propos avec une image qui n’a a priori rien à voir avec le sujet et dont le but est essentiellement, par son côté inattendu et/ou esthétique, d’attirer l’attention du lecteur potentiel. J’ai relevé ces trois images qui ont, précisément, retenu toute mon attention :
Au reste, puisque tout est numérique, ne nous focalisons pas sur la matière ou sur l’outil mais sur ce qu’on fait des données.
Nota bene. Les images qui illustrent cet article ont pour la majorité été collectées sur mon mur LinkedIn au cours de l’année 2017. La date précise n’est pas indiquée ici ; on peut la retrouver sur le site de référence qui apparaît sous l’image.
Publié par Marie-Anne Chabin, 1er octobre 2017
Michel Pastoureau a montré que le bleu est de toutes les couleurs la plus populaire et la mieux connotée, en tout cas en Occident. Elle tendrait même à remplacer le vert dans tout ce qui symbolise ce qui est sain, bienfaisant, naturel, etc. (cf. les enseignes des pharmacies qui sont de plus en plus nombreuses à arborer des croix à la fois vertes et bleues). Quant à symboliser le numérique, surtout dans ses fonctions liées à la mémoire, je suis étonné qu’on n’emploie pas plus l’image des circuits imprimés. Dans une vie professionnelle antérieure, c’est ce qu’un graphiste m’avait proposé comme illustration pour un projet de portail archivistique, l’autre image suggérée étant celle d’un réseau de neurones, ce qui donnait un dialogue assez réussi.
Merci pour la référence à Michel Pastoureau. Il y aura peut-être bientôt de quoi écrire une suite à son Bleu.
peut-être – Le Bleu pour rendre l’idée des données plus sympathiques, plus familières, plus proches de nous pour ne plus en avoir peur…comme une des chants que j’ai appris à mon arrivée en France « Allez Les Bleus, Allez Les Bleus, Allez ! »
Sympathique interprétation! Je n’y avais pas pensé.
En fait, je pensais que le vert était bien adapté, pour rassurer (le numérique fait peur), comme les nappes dans les conseils d’administration. Et c’est le bleu qui est sorti.