J’ai d’abord vu cette image (le 3 janvier 2018) sur les réseaux sociaux, comme des milliers de gens :
Sa forme humoristique m’a fait sourire et je n’ai jamais eu la tentation de prendre au pied de la lettre ce qui s’y trouve écrit (je ne crois pas, en cela, avoir un comportement exceptionnel).
En mode passif (simple spectateur), je ne me suis même pas demandée quel pourcentage d’internautes la prenait comme argent comptant, au même titre que la une d’un numéro de 50 millions de consommateurs ou d’une page du Journal officiel de la République française. La liste n’est pas sourcée et on voit mal comment elle le serait. L’année ne fait que commencer ; les pourcentages indiqués peuvent faire aussi bien allusion aux traditionnelles augmentations du 1er janvier qu’à d’éventuelles hausses de prix ultérieures. Le clin d’œil est évident.
Nota bene : cette image a été relayée par plusieurs dizaines de sites et de comptes Twitter de tous bords entre le 30 décembre et les premiers jours de janvier me dit Google, consulté le 13 janvier).
La question de l’impact m’est venue après, après avoir vu (le 11 janvier) l’article des « décodeurs » du Monde titré Les mensonges d’un message viral sur la hausse des prix en 2018 (daté du 4 janvier), provoqué par la diffusion le 30 décembre sur Facebook, dans un post du compte anonyme « Les indignés », de l’image ci-dessous :
Il s’agit de la même liste d’augmentations qui a été numérotée (il y a 19 points mais si 19 a une signification, elle ne transparaît pas). La liste est présentée sur deux colonnes, avec une image du président de la République française en fond et un message de vœux fictif du président faisant de la liste son programme 2018. D’humoristique, l’image devient polémique.
Les items de l’image ne sont pas davantage sourcés que dans la première image et la « manipulation » ne trompe personne, en tout cas pas plus que bien des messages ou images de contestation politique et sociale. La récupération était tentante pour les opposants politiques, râleurs et humoristes de service. On exagère, on en rajoute, on se lâche. C’est de bonne guerre. Sur ce thème, les gouvernements et régimes précédents de France et de Navarre en ont connu bien d’autres.
L’article du Monde parle de « texte ajouté sur l’image » mais, hormis le titre, il apparaît plutôt que ce soit l’image qui ait été ajoutée au texte (le post de Facebook est daté de 21:38 le 30 décembre et la première liste circule au moins depuis le matin – 08:28 – de ce même jour sur Twitter). La fabrication de ce document mériterait du reste une étude plus approfondie.
Entre le titre de l’article et les explications, la page des Décodeurs comporte le chapô suivant: « Un texte alarmiste, partagé plus de 50 000 fois sur Facebook, accuse le gouvernement d’être responsable de la flambée des prix en France, mais il est en grande partie erroné ». Je lis bien: Alarmiste… Accuse… Flambée… Mais… je ne lis pas cela sur l’image, diffusée sans message d’accompagnement. Voilà des mots, en accroche de l’article, qui ne riment pas avec objectivité scientifique. À se demander de quel côté est l’imprécation…
J’imagine – un peu d’éducation-fiction ne fait pas de mal – que ce « document-image-message de réseau social » soit le sujet de l’épreuve de diplomatique numérique au concours d’entrée à l’École nationale des chartes. Analysez en trois lignes la forme et la portée de ce document. Avec cette analyse diplomatique-là, nul doute que les Décodeurs auraient été recalés !!
Bon, le propos de l’article du Monde est de vérifier l’exactitude ou l’exagération des augmentations. Les enquêteurs ont fait leur travail d’enquête et le présentent point par point. C’est le but de l’article. Rien à dire sur le fond.
En revanche, la mise en page des résultats de l’enquête des Décodeurs retient mon attention et le choix de couleurs m’inquiète. On retrouve l’opposition Vert / Rouge correspondant à Vrai / Faux qui est utilisée dans tous les quiz. Mais pour les réponses qui ne sont pas binaires ou pour les questions complexes, le choix du même Rouge prête à confusion.
Faut-il y lire, de manière subliminale, que le fait que le gouvernement ne fixe pas certains prix est Mal, puisque cette formule figure en Rouge comme ce qui est Faux ?
Étrange, cette absence de nuance. Même les feux de la circulation connaissent le orange…
Cette présentation ne s’explique que par le fait que la mise en cause du gouvernement est décomposée et distribuée par les auteurs de l’article sur chacun des éléments de la liste et que les Décodeurs tiennent à répondre à « l’accusation » point par point. Ce qui laisse penser que ces avocats de la défense n’ont pas connaissance de la liste d’origine, titrée « Pour 2018 » (avant le montage avec la photo d’Emmanuel Macron), et n’ont pas vraiment perçu le processus de fabrication du post.
De ce point de vue, le site https://hoax-net.be qui s’est attaqué à la même « fake news » est plus clair et plus honnête dans sa critique, notamment en citant la première liste, en utilisant la couleur jaune en plus du rouge-vert accolés, et en citant ses sources.
Bref, les Décodeurs (et ce n’est pas la première fois que je le remarque) se prennent vraiment très au sérieux dans leur mission autoproclamée d’édification des masses incultes, mais ces doctrinaires mesquins seraient bien inspirés de se former à la diplomatique numérique. Le journal Le Monde dans son ensemble y gagnerait en crédibilité.