J’aimais bien Cédric Villani.
Oui, je m’exprime à l’imparfait de l’indicatif et j’en suis désolée. Je m’en excuse auprès de l’intéressé mais voilà, les algorithmes ont encore frappé.
Donc, Cédric Villani était pour moi (qui porte toujours le regret de ne pas avoir poussé plus loin les études mathématiques) une figure brillante et sympathique. J’aimais à penser à sa médaille Fields, à la clarté de son discours sur les arcanes de sa discipline, à son engagement politique (ce n’est pas une question de parti, c’est une question de conviction et de courage), et plus récemment à son intervention pour défendre de la mémoire de Maurice Audin (que j’ai évoquée dans un autre billet).
Or, depuis quelques temps, la vue de son visage a tendance à provoquer une grimace sur le mien. Il ne m’a rien fait et pourtant il me harcèle, « à l’insu de son plein gré » dois-je ajouter à sa décharge. Voici comment.
Il se trouve que je pratique les réseaux sociaux, plus exactement un réseau social, en l’occurrence LinkedIn (les inconvénients de la société connectée m’ont fait limiter l’expérience à un réseau). Selon l’algorithme souvent mystérieux du réseau, mon « mur » est composé non seulement de la suite chronologique des posts, likes et commentaires de mes contacts (ce pourquoi j’ai ouvert un compte LinkedIn) mais aussi d’un pourcentage plus ou moins élevé (selon quels critères, mystère!) de posts non sollicités comme on dit pudiquement, rançon de la gratuité du réseau (je préférerais payer mon compte et ne pas avoir ces pubs mais malheureusement pour moi cela n’est pas dans l’ordre des choses possibles).
C’est ainsi que LinkedIn m’affiche régulièrement, disons une fois par semaine depuis plus d’un an, un « message » du site Impôts et solutions.fr (je n’insère pas le lien, cela va de soi) accompagné de l’image suivante
sous-titrée « Les Français payant plus de 2500 € d’impôt peuvent bénéficier de cette loi / site loi-pinel-logement.org ». No comment sur le fond; ce qui m’intéresse est avant tout la forme (diplomatique).
La sensation de harcèlement tient bien sûr à la répétition. Je ne suis pas sûre d’avoir tout noté depuis le début mais j’affirme avoir vu cette image en consultant LinkedIn des dizaines de fois. J’ai fait quelques captures d’écran, notamment pour suivre le nombre de likes et de commentaires qui me paraissaient faibles vu le matraquage du réseau. Voici un échantillon, avec les dates:
J’aurais pu utiliser le clic droit et demander de ne plus voir cette pub mais j’aurais illico eu droit à une autre pub, alors, à quoi bon? De plus, autant j’aime agir pour obtenir une chose positive, autant je répugne à devoir faire une démarche pour ne pas recevoir quelque chose qu’on m’envoie sans que je n’aie rien demandé. J’ai donc pris dans cette affaire le parti d’observer combien de temps ça allait durer. Pire, je m’arrête à chaque fois devant l’image et je prends le temps de faire une copie d’écran. J’imagine que l’algorithme (qui a surtout une intelligence commerciale) a interprété ces informations comme révélatrices de mon intérêt pour la loi Pinel, ou pour les impôts, ou pour Villani ou pour je ne sais quoi mais un intérêt à ladite pub.
Curieuse de nature, j’ai cherché à savoir si Cédric Villani était vraiment impliqué dans la promotion de la loi Pinel. Je n’ai trouvé aucun élément allant dans ce sens (je n’ai pas voulu déranger directement le savant député pour si peu). En revanche, j’ai pu établir que:
1/ Les sites Impôts et solutions & Loi Pinel-logement n’affichent pas cette image avec Cédric Villani.
2/ L’auteur de la photo est Jacques Demarthon, photographe à l’AFP; la photo a été prise à l’Assemblée nationale le 28 juillet 2017, comme on peut le voir sur le site de RTL dans un article du 1er août 2017 intitulé « Pourquoi vote-t-on à main levée à l’Assemblée nationale? » et donc proprement illustré; l’image n’est pas tronquée et est sourcée:
3/ Cette photo a été assez largement utilisée dans la presse en ligne, dans des contextes variés, comme en témoigne la capture d’écran ci-dessous, la plupart du temps sans que l’image soit sourcée:
4/ Le 28 juillet 2017 – dixit le site de l’Assemblée nationale – il y a eu trois séances et elles portaient toutes les trois sur la discussion d’un projet de loi organique sur la confiance dans la vie public et pas sur les impôts (la loi Pinel, elle, date de 2015).
Il s’ensuit plusieurs questions, parmi lesquelles:
- Cédric Villani est-il au courant de cette publicité et a-t-il donné son accord à l’utilisation intrusive de son image sur LinkedIn?
- Jacques Demarthon a-t-il autorisé la réutilisation de sa photo par Impôts et solutions sur LinkedIn?
- Combien coûte cette pub sur le réseau social et quel est le retour sur investissement?
- Est-ce que le nombre de likes atteindra les 5000 avant la fin 2018?
Mes amis, quel suspens!
Quant à moi, après consultation d’Internet sur les principes actifs de l’antigrippine, je vais pouvoir, en me munissant d’un café, d’un verre de jus d’orange et d’une décoction de feuilles de saule, affronter mon mur LinkedIn sans crainte. Et me convaincre que Cédric Villani ne m’a rien fait.
OUF ! En ce jour où l’on rend (un peu) justice à Maurice AUDIN, le titre m’a fait un peu peur. Le travail de l’inspectrice MAC est très impressionnant.
Je ne suis pas sûr que le vote hier de l’assemblée européenne suffira à résoudre ce problème (et encore faudra-t-il que ce vote trouve une traduction concrète après négociations avec la Commission et le Conseil sous la pression des « lobbies » de toutes sortes).
On pourrait aussi gloser sur l’utilisation des données non structurées par les algorithmes (ceci pour faire la publicité de cet excellent papier trouvé sur … Linkedin).
Merci, Bruno. Je suis d’accord.
Le titre de l’article est délibérément provocateur, évidemment, et je confesse volontiers user moi-même de ce que dénonce. Mais je me dis que la fin justifie les moyens.
Je suis frappée par le nombre de mini-détournements ou mini-inexactitudes qui envahissent le net et les réseaux sociaux, surtout dans l’utilisation des images. A côté des fake news caractérisées, je veux attirer l’attention sur ces petits riens qui relèvent tout de même de la désinformation subliminale.
On m’a enseigné à l’école républicaine que « Qui vole un œuf vole un bœuf »…