Je feuillette – ou plutôt j’écranette – la e-newsletter du Monde chaque matin. Depuis quelques jours, j’avais bien perçu que quelque chose avait changé dans la présentation mais je n’avais ni formulé la question précisément ni cherché à y répondre.
Ce matin, la réponse m’est apparue sans que je me repose la question: les vignettes qui illustrent le sommaire du journal sont passées de gauche à droite. Je parle de la mise en page, évidemment: la place des images est passée de la gauche du résumé du sujet à la droite du texte.
Je me suis alors demandé à quelle date le changement s’était produit. Et comme je stocke mes mails un certain temps dans mon « purgatoire », je n’ai pas eu de mal à identifier la date du vendredi 21 juin, le jour de l’été (quand on ne sait pas quelle date choisir pour un changement d’organisation, on retient volontiers une date simple du calendrier: 1er janvier, équinoxe ou solstice, etc.). Si, par hasard, un membre de la rédaction du Monde me lit, je le remercie d’avance de me faire savoir ce qu’il en est réellement. A noter que la présentation du journal, elle, n’a pas changé.
Donc, le 20 juin 2019, c’était:
Peut-être le journal a-t-il informé ses lecteurs de cette évolution visuelle; je n’en ai ni le souvenir ni la trace. Je note qu’il m’a fallu un mois pour « voir » cette différence et c’est le premier point qui m’intéresse dans ma réflexion. N’avez-vous jamais noté le temps qu’il faut pour réaliser que telle boutique a été remplacée par telle autre dans une rue familière?
Le second point est que ce changement de mise en page n’est pas neutre dans l’impact du document sur le lecteur. Pour une lecture normale de gauche à droite, le fait de décaler l’image à droite du texte, plutôt que d’en faire une sorte de lettrine à gauche, me paraît une volonté de redonner un peu de poids au texte tellement dominé par l’image dans les médias. J’ai déjà eu l’occasion de dénoncer cette dictature de l’image, en raison de la désinformation qu’elle véhicule. En effet, d’une part, l’utilisation d’images prétextes qui frisent parfois la simple tache de couleur, sans lien avec le sujet, réduit la portée et la compréhension du texte; d’autre part, la décontextualisation induite par une image dépourvue de commentaire ou d’expression de l’intention du locuteur est elle aussi réductrice et trompeuse, laissant le lecteur imaginer au moyen de son propre environnement social et culturel (lequel environnement, on le sait, cède de plus en plus au confort de la bulle). Bref, l’image, par sa brièveté et sa platitude, peut être – et est trop souvent, hélas, trois fois hélas – un facteur de régression dans la communication. Je sais bien qu’une image peut en dire plus long qu’un grand discours, mais la systématisation de ce fait incontestable est contreproductive voire dangereuse. C’est un thème de recherche en soi.
Enfin, je me demande si cette mutation de présentation sera prise en compte par les chercheurs en sciences de l’information qui étudient ou étudieront les supports de presse. Je suis frappée, presque chaque jour, par la prépotence attribuée aux contenus par ceux qui traitent des données, au mépris et au détriment de la forme de l’information qui porte pourtant une grosse part du message.
C’était mon quart d’heure diplomatique. Il y en aura d’autres.
PS: Bruno D. me fait malicieusement remarquer, preuve à l’appui, que France Inter doit être macroniste…
Une autre piste sur le non-dit de la forme.
Nous utilisons sans trop y réfléchir le terme de FORMulaire, qui signifie un document pré-établi, dans lequel on rempli des « cases ».
Il existe des travaux sur la manière de construire de tels documents pour rendre plus efficace la captation de l’information recherchée, et les obstacle formels ou conceptuels ou contextuels qui empêche cette captation.
L’aspect visuel évoqué ici met en évidence le non-dit, ou plutôt le non-vu, dans la captation de l’attention (pourtant fort pratiquée par tous les medias). Il y a vraiment une piste à creuser
Merci Jean-Daniel. Oui, il y a une piste à creuser, avec un vocabulaire à développer; c’est une partie de la diplomatique appliquée à notre époque.
Peu-t-être que ces chercheurs en sciences de l’information ont besoin de lunettes pour voir le monde tel qu’il va : la forme importe souvent plus que le fond, c’est même l’un des secrets de la promotion commerciale. A propos : décrire une photo ou une image à quelqu’un qui ne la voit pas
est un exercice particulièrement difficile.
Tout à fait d’accord. On devrait s’exercer à décrire des images plus souvent, c’est étonnamment instructif. Et on peut se demander aussi si les chercheurs précités s’interrogent sur les raisons d’une telle négligence de la forme chez la plupart des auteurs de notes, de rapports, de mémoires…