C’était, la semaine dernière, la vingtième édition de Savante Banlieue, une manifestation de valorisation de la culture scientifique et technique auprès d’un large public et plus particulièrement les élèves et enseignants des collèges et lycées de la Seine-Saint-Denis. Cet événement s’inscrit dans le cadre de la Fête de la science et est co-organisé par l’établissement public territorial de Plaine Commune, l’Université Sorbonne Paris Nord, l’Université Paris 8 et le CNRS. Des chercheurs sont invités à présenter des conférences, grandes ou petites, aux établissements scolaires qui s’inscrivent selon leurs centres d’intérêt. Il y a eu cette année 13 grandes conférences et 52 mini-conférences.
C’est avec beaucoup d’agrément et d’intérêt que j’ai participé la semaine dernière, dans le cadre de mon enseignement à Paris8, à cette Savante Banlieue 2020. Au cours de la semaine, j’ai pu m’adresser, par visioconférence, à près de 250 collégiens et lycéens, entre les classes de cinquième et de première. Expérience enrichissante et encourageante pour l’avenir en ces temps de grisaille…
Voici le résumé de ma mini-conférence intitulée « Désinformation? Ouvrez l’œil (et le bon!) » et, surtout, les réactions et questions des élèves.
Après une définition du mot désinformation, en insistant sur l’intention de nuire de l’émetteur du message, j’ai abordé la question par le biais du document (ma spécialité), en invitant les élèves à regarder attentivement quatre documents, avant d’expliquer les indices visuels et les raisonnements qui permettent d’affirmer qu’ils sont tous faux, à des degrés divers (forgé, falsifié…) :
- un mail frauduleux émanant prétendument de ma banque;
- une fausse lettre d’Emmanuel Macron au procureur de la République, datée de 2018, et une fausse lettre de Napoléon de 1809, deux forgeries assez grossières, diffusées sur les réseaux sociaux dans un but d’incitation à la violence, la première au début du mouvement des Gilets jaunes, la seconde dans le cadre de l’incendie criminel de l’équipement culturel de Chanteloup-les-Vignes au début du mois de novembre 2019 ;
- une interview vidéo du Professeur Raoult d’avril 2020 sur une chaîne YouTube qui est en fait la récupération d’une interview radio (Radio Classique dont le nom est masqué dans le montage) sur laquelle ladite chaîne YouTube a ajouté des images fixes à son idée… Une falsification donc, même si les propos originaux sont respectés.
La conférence de 30 minutes (donnée sept fois en tout) était suivie d’un échange de questions qui, à ma grande surprise et à ma grande joie, a souvent dépassé le quart d’heure imparti. La grande majorité des élèves s’est montrée attentive, intéressée, respectueuse et souvent très pertinente dans ses interventions. Leurs propos méritent d’être partagés.
Une seule des classes est restée un moment silencieuse, manifestement peu accrochée, puis un lycéen m’a dit : « Madame, nous on est mineurs, on n’est pas concernés par le président de la République »… Bon… Puis un de ses camarades s’est interrogé sur la sécurité de ses achats en ligne avec sa carte bancaire et la discussion a démarré…
Dans une classe, tous sont étonnés quand je dis que tous les documents sont faux; ils y ont cru. Un autre élève dit qu’il a cru à la lettre de Macron mais pas à celle de Napoléon car il a vu des archives et on n’écrivait pas comme ça autrefois. À l’inverse, d’autres avouent qu’ils auraient cru à la lettre de Napoléon et l’auraient partagée.
Un élève dit que c’est un délit de faire de fausses lettres et que ces gens peuvent être condamnés.
Un élève de troisième évoque les secrets d’État (Georges W. Bush a menti…).
Une élève de cinquième: « j’ai vu une rumeur sur la fin du monde et après, j’ai vu que ce n’était pas vrai ».
Questions générales :
Pourquoi ce n’est pas bien de mettre des images sur l’interview ?
Est-ce que tous les sites Internet sont vrais ?
Pourquoi des gens ont fait une fausse lettre de Macron ?
Existe-t-il des sites dédiés aux fausses photos ?
Comment faire une bonne recherche sur Internet ?
Un jeu de questions concerne la responsabilité de l’internaute :
Que risque-t-on en publiant des vidéos falsifiées ?
Les parodies sont-elles illégales ou risquées ?
Peut-on utiliser des images libres de droit et les détourner pour produire des vidéos sur YouTube ?
Qu’est-ce qui se passe quand on fait une fausse lettre au nom d’une banque pour arnaquer quelqu’un ?
Qu’est-ce que je risque si je prends un de mes profs en photo et que je poste la photo sur Internet ?
Est-ce que prendre la photo d’un objet appartenant à quelqu’un d’autre (par exemple une voiture) et la diffuser sur Internet, c’est interdit ?
Est-ce que c’est grave de créer une fausse page sur Internet ?
Si on poste une photo sur internet, est-ce qu’on a le droit de la retirer après?
Quelques questions plus techniques:
Comment connaître les propriétés du mail ? [j’avais évoqué l’URL d’origine du mail indiquée dans les propriétés du fichier, « derrière l’écran »].
Est-ce qu’il y a des faux qu’on ne détecte jamais ?
Est-ce qu’il y a des documents historiques qu’on a cru vrai longtemps et qui finalement étaient faux ?
Comment peut-on imiter la signature d’Emmanuel Macron ?
D’autres questions me sont adressées plus personnellement :
Comment je me suis spécialisée dans ces études ?
Quels sont les documents auxquels je fais le plus attention dans mon travail (de conseil aux entreprises) ?
Est-ce que je me suis déjà fait arnaquer ?
J’ai répondu de mon mieux 😊.
Alors, merci à tous ces élèves de lycées et collèges pour leur enthousiasme et leur maturité qui est un baume au cœur. Je tiens aussi à saluer les professeurs de ces établissements et leur implication pédagogique. Et bien sûr j’adresse mes remerciements à toute l’équipe organisatrice de Savante Banlieue, ainsi qu’aux collaborateurs de Paris 8 qui ont veillé à ce que tout se déroule bien.
Hélas, ce manque de sens critique n’est pas propre aux jeunes générations, ni aux moyens de communications ultra-rapides qu’a inventés notre époque. Même l’imprimé, y compris sous ses formes apparemment les plus sérieuses, peut relayer des âneries. La fausse lettre de Napoléon figure ainsi dans la dernière livraison (n° 171, automne 2020, p. 687) de la revue Commentaire, qui a l’habitude de parsemer ses pages de citations d’auteurs plus ou moins anciens. Elles sont en général originales et judicieusement choisies et toujours précisément identifiées (auteurs bien sûr, mais éditions, dates, pages, etc.). Sauf là, où ne figure que la mention « Napoléon, fait à Schoenbrunn, le 21 août 1809 », sans la moindre référence à une édition de la correspondance de l’empereur, et pour cause ! Or c’est une revue dont les trois co-directeurs sont ou ont été profs à Sciences-Po, à Assas, au CNAM (comme chantait feu Aznavour « des gens bien, très très bien, décorés, très décorés »), avec un conseil de rédaction farci de personnes d’expérience venues de l’édition, de la presse et de l’université, bref des gens qu’on pourrait croire immunisés contre les effets de mode et capables de distinguer le bon grain de l’ivraie et l’authentique de la forgerie.
Merci beaucoup, Thibaut, pour le signalement de cette bévue ÉNAURME! Cela mérite un article plus circonstancié quelque part, non?