Les temps/l’époque étant ce qu’ils/elle sont/est, je précise aux lecteurs.trices trop sérieux.ses que ce billet/cette proposition est aussi « modeste » que badin.e.
Le combat soutenu des mouvements féministes a conduit récemment à faire adopter l’expression « égalité femmes-hommes » à la place de la formule « égalité hommes-femmes » à laquelle l’oreille s’était habituée (« FAMOM » n’est pas très euphonique mais on comprend bien que c’est le fond qui l’emporte).
Cette inversion de l’ordre des mots suggère une revendication que je n’ai pas entendue dans le débat alors que toutes les femmes, et même les jeunes filles, et aussi les fillettes sont concernées. Il s’agit du numéro de sécurité sociale dont le premier des treize chiffres indique le sexe: 1 pour les hommes, 2 pour les femmes (laissons ici de côté l’usage des chiffres 3 à 9 qui est une autre histoire).
Ainsi – trois fois hélas – plus de la moitié de la population française (les femmes étant légèrement majoritaires) doit subir au jour le jour l’affront de se voir rappeler qu’elles viennent en second, qu’elles sont abonnées au numéro deux, que c’est la deuxième place qui leur est assignée et que la première place leur est interdite. Humiliation répétée à chaque fois qu’une femme remplit une feuille de soin, se connecte à son compte Ameli ou complète un formulaire administratif! Et pour les (rares) cas où c’est le conjoint qui remplit pour sa conjointe, on imagine l’effet désastreux de renforcement du sentiment du supériorité chez celui qui, lui, a le droit d’écrire un 1.
On aura beau jeu d’expliquer que ce désagrément trouve une compensation non négligeable dans les règles traditionnelles de la politesse et de la courtoisie selon lesquelles les femmes doivent passer devant (l’argument est étranger aux valeurs du militantisme féminin). Ou bien d’expliquer que ce numéro d’identification des individus a été créé à des fins militaires sur douze chiffres et que le treizième, en l’occurrence le premier, a été ajouté après coup à des fins administratives. Les faits sont là, sournois, insistants, et ils sont insupportables! N’est-il pas temps là aussi d’inverser un peu les choses pour rétablir une offense qui dure depuis trop longtemps? L’heure a sonné d’attribuer le 1 aux femmes! Mais que fait le gouvernement?
En cherchant un temps soit peu sur Internet – merci Wikipédia – j’ai appris que la question avait déjà été soulevée en 1985, justement par Yvette Roudy, ministre des Droits de la femme (mai 1981- 1986) durant le premier septennat de François Mitterrand. La ministre avait protesté auprès du directeur de l’INSEE en pointant la discrimination envers les femmes qui résulte de cette codification. L’INSEE avait alors botté en touche en se rangeant derrière la norme ISO/CEI 5218 de 1976 sur la représentation du genre. Mais une réponse plus perfide avait circulé officieusement, évoquant le code 0 en remplacement du 2, en insistant sur la charge négativement symbolique du 0 dans le but de refroidir les ardeures de la ministresse (dans ladite norme, le 0 signifie « inconnu »…).
La question a-t-elle été étudiée sérieusement, alors ou depuis?
Plusieurs questions se posent: quel système adopter? Comment le mettre en œuvre? À partir de quel date?
Sur le choix du système, le cabinet du directeur de l’INSEE de 1985 n’avait pas tort sur toute la ligne: remplacer le 2 par un 0 serait à coup sûr plus économique dans la mesure où, avec le doublet 0 (femmes)-1 (hommes), la presque moitié de la population n’aurait rien à changer à ses habitudes mais l’opération, on l’a compris, pourrait se révéler contre-productive en termes d’image. Pourtant, à l’heure des données numériques, codées comme chacun.e sait avec des 0 et des 1, il y aurait de quoi argumenter de la part des féministes et revendiquer le premier de ces deux symboles de l’écriture du monde moderne.
Les observateurs.trices auront remarqué que dans l’image pédagogique qui illustre ce billet, la légende du premier chiffre du numéro de sécurité commence par le 2 et finit par le 1: piètre consolation!
Une solution plus radicale consisterait à revenir à un numéro à douze chiffres (tant pis ou tant mieux pour les superstitieux – cochez la case de votre choix); en effet, qu’a-t-on besoin d’indiquer le sexe des individus/des personnes dans le registre national d’identification? On s’en passerait facilement. On pourrait encore suggérer cette solution réaliste et moins onéreuse de remplacer le 1er caractère par une lettre, F ou H, car F présente l’avantage naturel de se trouver avant H dans l’alphabet latin (évidemment, l’anglicisation ambiante pourrait balayer cet avantage…).
La mise en œuvre passe par le déploiement d’un gros projet national impliquant plusieurs ministères (économie, santé, intérieur…et évidemment égalité entre les femmes et les hommes). Le choix du prestataire est une première étape à ne pas négliger car si jamais l’appel d’offre public est déclaré infructueux, la réforme gouvernementale perdra en crédit. Le problème est que le projet requiert des compétences à la fois technologiques et communicantes pour mener parallèlement la réorganisation des outils de gestion administrative et l’adhésion de la population à ce nouveau geste quotidien de respect envers les femmes. En effet, il ne faut pas minimiser la communication sur la réforme: dans un pays où 70% des citoyens restent chez eux le jour des élections, quel pourcentage adhérera du premier coup à l’opération et fera un sans-faute jusqu’à l’adoption collective du nouveau réflexe? Pour aider à la manœuvre, on pourrait recruter des formateurs.trices et des accompagnant.e.s; bien sûr, ces emplois/activités ne seront pas pérennisables mais ils/elles présentent l’avantage de pouvoir être réalisé.e.s en télétravail (sauf cas/situations particulier.es).
Mais quid de la « reprise de l’existant » ou de la « reprise des données » comme on dit dans les projets de dématérialisation : que fait-on du stock?
Pour les feuilles de maladie et les notifications de remboursement de la Sécu, on peut évacuer le problème assez vite puisqu’elles sont généralement détruites dans les trois ans (article D253-44 du code de la sécurité sociale)
Pour les bulletins de paie, c’est plus gênant; en effet, avec une conservation à 50 ans de millions et millions de pages, la tâche de modification de la totalité de la masse ou du stock (laquelle/lequel est on ne peut plus dispersé.e entre les domiciles des salarié.e.s et les caves de leurs employeur.e.s) est inqualifiable avec les mots du dictionnaire: bénédictine, herculéenne, titanesque, abracadabrantesque…
Et pour le grand basculement dans les bases de l’INSEE et de la Sécurité sociale, il faut trouver un jour J précis, en anticipant au mieux un incident, une faille ou une cyberattaque qui bloquerait le système au point qu’on ne saurait plus revenir à l’état précédent et qu’il serait définitivement impossible de savoir qui est in et qui est out, enfin qui est 1 et qui est 2 (notons que cette analyse de risque milite en faveur d’un effacement complet du 1er caractère pour revenir à un numéro à douze chiffres).
Finalement, la question de la date du lancement de l’opération est peut-être le point le plus délicat: faudra-t-il suivre la logique de l’année civile et démarrer un 1er janvier (01/01)? On pourrait y voir de la part de la gent masculine une tentative de s’accrocher à son ancien privilège. Toute date correspondant soit à un jour pair soit à un jour impair, toute proposition pourra être instrumentalisée à leur profit par les pros et les cons, je veux dire les pour et les contre la réforme.
Que faire? On pourrait peut-être créer une commission Théodula?