« Certains d’entre nous refusent d’évoluer. Les circonstances changent, mais ils refusent de changer avec elles. Ils ne connaissent que les chemins battus, les vieilles tactiques, ordonnées par leurs aïeux et qu’ils s’obstinent à suivre à leur tour, et qu’ils suivront jusqu’à la saint Glinglin. »
Un discours électoral ? Pas exactement. Ce sont les mots que Mark Twain, dans son Roman de Jeanne d’Arc, de 1896 (éd. française, Le Serpent à Plumes, 2002 p 358) prête au capitaine La Hire pour haranguer les chefs de guerre réticents à continuer le combat au moment où Jeanne veut conduire le dauphin à Reims.
Sans changer grand-chose – peut-être remplacer « tactiques » par « techniques » ou « pratiques » – on pourrait retrouver les mêmes propos chez tout tribun s’efforçant de réveiller une population prisonnière de ses habitudes face au progrès technologique, refusant d’abandonner le métier à tisser à bras pour le métier Jacquard, ou d’accepter les automobiles à la place des voitures hippomobiles, ou encore de délaisser la faux et le fléau au profit de la moissonneuse-batteuse.
Ce pourrait être aussi le discours des défenseurs de l’archivage managérial aux adeptes des archives intermédiaires dans le monde numérique qui est désormais le nôtre, à moins que le « nuage » qui plane au-dessus de nos têtes n’absorbe aussi la saint Glinglin…
Transférer des documents accumulés dans un bureau vers un local d’archives, c’était bien quand ces documents étaient pertinents, bien identifiés et physiquement stables, c’est-à-dire il y a bien longtemps… Mais l’évolution technologique, sociale, politique, culturelle fait qu’aujourd’hui les actes qui engagent la responsabilité (faire, dire, savoir) sont loin d’être toujours tracés correctement, identifiés de façon satisfaisante et stockés en toute intégrité, de sorte que les classeurs et chemises qui attendaient jadis sagement le passage de l’archiviste pour une nouvelle vie dans l’antichambre des archives historiques, ont été remplacés par des kyrielles de bits trop souvent approximatifs, agglutinés sur des supports précaires, rapidement inexpressifs, déformés, inexploitables, sans garantie d’intégrité en attendant d’être tout simplement désintégrés ! Est-il sérieux de penser qu’on peut laisser s’accumuler des fichiers numériques par millions sans se préoccuper de leur production ni de leur qualité puis, quelques années plus tard, les ouvrir un par un pour voir s’ils sont intéressants pour l’histoire ?
Cette évolution des traces archivables exige une évolution des méthodes d’archivage.
Évolutivité : capacité à évoluer, adaptabilité à l’environnement. C’est aujourd’hui une qualité que l’on attribue plus souvent aux machines qu’aux humains. On parle de l’évolutivité des ordinateurs et des applications informatiques pour qualifier leur aptitude à répondre à la demande, à satisfaire des besoins croissants de performance, au travers de composants différents (une carte, un processeur, une mémoire…).
On se dit que l’humanité ferait bien de s’inspirer de l’ordinateur dans son aspiration à évoluer. Mais est-ce vraiment à la technique de montrer l’exemple à l’humain ? Ne devrait-ce pas être l’inverse ?