Mon premier est une conjonction de coordination.
Mon second est une note de musique.
Et mon tout structure la ville.
Le cardo, avec son compère le decumanus, structure, ou plus exactement structurait, une ville romaine. Le cardo est l’axe de communication nord-sud, axe majeur, tandis que le decumanus découpe la ville dans le sens est-ouest. Au carrefour des deux se tient généralement le forum, la place publique où hommes d’affaires, badauds et jeunesse viennent s’informer, échanger, négocier. Le cardo est la base de l’organisation de l’espace commun, le cœur de la vie économique et sociale.
Lorsque la ville s’étend et que les axes de communication se multiplient, on trouve plusieurs cardines (pluriel latin de cardo) mais il y a en a toujours un qui est plus important : le cardo maximus, comme à Lutèce. Pour les amateurs de sites archéologiques, le cardo le plus impressionnant est sans doute celui de Jerash (Jordanie) qui a résisté non seulement à plus de deux mille ans d’histoire mais aussi à plusieurs tremblements de terre.
À l’heure où la communication se fait moins en empruntant des voies de pierre que des voies immatérielles (voix immatérielles ?), on peut se demander ce qui a remplacé cet élément structurant de l’espace collectif qu’était le cardo. Où sont les points cardinaux (eh ou ! c’est de là que ça vient) qui permettent de se situer dans la ville numérique ? Quels sont les axes qui inspirent aujourd’hui un sentiment de stabilité dans l’espace quotidien de travail et d’étude ?
C’est la question que je me pose parfois en observant les étudiants en sciences de l’information. Plus d’un étudiant(e) semble désorienté(e) dans le monde de l’information et dans son propre travail ; les points cardinaux paraissent absents ; les notions secondaires prospèrent mais les concepts fondamentaux sont flous ; les axes de repérage de la pensée s’avèrent ténus, les artères méthodologiques se délitent dans la volubilité de l’Internet ou se noient dans le tsunami numérique.
On se dit que ce qui leur manque, c’est un cardo, un cardo documentalis maximus. Voilà qui les aiderait à se stabiliser « nord-sud », autrement dit dans l’axe du temps, avec des racines pour résister au vent et une perspective d’avenir pour savoir dans quelle direction se développer. À quoi on ajouterait ensuite un decumanus informationis afin qu’ils puissent se latéraliser « est-ouest », apprécier le soleil qui se lève ou qui se couche, les informations qui naissent, qui passent, qui déclinent…
À noter qu’en latin (on peut se fier au dictionnaire Gaffiot), documentatio veut dire « avertissement », et informatio signifie « représentation d’un concept par l’image ».
Moralité [le suffixe ne me lâche pas ;-)] : quoiqu’en dise l’ami Obélix, pas si fous que ça les Romains !