Auteur invité cette semaine: Laurent Chabin
(Un article 100 % naturel)
N’étant pas linguiste, je m’abstiendrai de théoriser sans rime ni raison sur les mots; mais, étant utilisateur de mots, je m’attacherai à l’un d’entre eux qui me laisse perplexe.
Bio.
Un mot qui, comme tous les autres, devrait vouloir dire quelque chose. Mais quoi?
Mettons tout de suite de côté le nom féminin : une bio (apocope pour biographie), ou la bio (idem pour biologie), bien connue des potaches. Là, on sait de quoi on cause. Je parle ici de l’adjectif «bio» — ignoré d’ailleurs par le petit Bob, pour qui «bio» est un élément qui ne signifie quelque chose que s’il est ajouté à autre chose.
D’emblée, il est curieux de constater que cet adjectif, qui à l’origine signifie «vie», est généralement utilisé pour qualifier des choses mortes : du bœuf bio ou du café bio, par exemple. Or, si le bœuf a un jour été un animal vivant, et le café une plante vivante, les deux n’accèdent au statut «bio» qu’en mourant et en devenant objets de consommation.
On me dit que bio signifie naturel. D’où deux questions.
– Si bio signifie naturel, pourquoi ne pas dire naturel?
– Si bio signifie plus que naturel, quel est ce plus?
Naturel vivant plutôt que naturel mort, pourrait-on penser (surtout si on a quelques notions de grec ancien). Non, ce serait en contradiction avec le paragraphe précédent.
Naturel équitable? Non, rien ne dit que le peón qui a cueilli la banane bio n’était payé à coups de pieds dans le c…
Naturel et bon pour la santé? Non, le curare, l’amanite phalloïde, la ciguë ou le foie du fugu sont tout ce qu’il y a de naturel, mais ils sont peu recommandés pour la santé.
Quelle est donc, en fin de compte, l’information spécifique véhiculée par ce mot fantôme?
Mystère. Bio, comme beaucoup de mots — beaucoup trop —, et à l’instar la mère de Frieda (celle que chante Brel dans Chez ces gens-là), ne « dit rien, ou bien n’importe quoi »…
Mac in petto
Je réalise en lisant le billet de Laurent que la langue (parlée) s’enrichit de plus en plus de mots qui ne sont pas vraiment des adjectifs ni vraiment des noms, de nouveaux mots à la syntaxe bizarre (tiers substantif, tiers adjectif qualificatif, tiers adverbe). Bio en est un bel exemple, sur fond commercialement correct.
À ce train-là, le français va ressembler de plus en plus à la langue chinoise, faite de racines et de mots invariables (sans genre ni nombre, sans déclinaisons ni conjugaisons). Pourquoi pas, si ces nouveaux mots ont du sens.
Pour revenir à bio, voilà un mot fourre-tout. Il semble que tout ce qui est fabriqué ou exploité par l’homme a vocation à devenir bio : le jus d’orange, le chocolat, les produits de beauté, les chaussettes, le carburant, les voitures…
Donc « Tout est bio ! » (à ne pas confondre avec l’exclamation de ravissement des Berrichons devant la beauté des choses : « Tout est biau ! »).
Alors, pourquoi pas demain le cinéma bio, les journaux bio, les archives bio…
Tiens, les archives bio : ce serait quoi ? Les archives relatives à l’Existence ? Les archives produites sur un support issu de l’agriculture biologique ? Les archives vivantes, puisque l’expression existe déjà, comme synonyme d’archives courantes, c’est-à-dire les documents qui sont conservés dans les bureaux où on trouve, comme chacun sait, tout et n’importe quoi… ?
Ou des archives qui reposent sur un ensemble de règles, de directives et de principes spécifiques, applicables à tous les collaborateurs, exemptes de manipulations de leurs gènes authentiques, respectueuses de l’environnement économique et social de l’entreprise ? On peut rêver…