Cogito, ergo sum. Je pense, donc je suis. Le fait même de m’interroger sur mon existence prouve que j’existe.
La sentence de René Descartes est universelle, sous sa forme latine, même si elle a d’abord été écrite en français en 1637. Elle illustre les fondements d’une nouvelle philosophie où la connaissance n’est plus un héritage immuable du passé, mais se construit au travers d’une interrogation méthodique, via une analyse rationnelle, par la déduction des faits observés.
La préposition latine ergo, généralement traduite en français par donc et en anglais par therefore, signifie « par conséquent » et met en relation deux éléments qui sont le premier la cause, le second le résultat. C’est un outil pour dérouler une réflexion et conduire à une conclusion.
Le Cogito de Descartes a suscité quelques variantes intéressantes, par modification du premier terme, notamment : video ergo sum, ludo ergo sum, scribo ergo sum et même hackito ergo sum ; mais aussi par modification du second terme : cogito ergo scribo, cogito ergo bloggito…
Cogito, ergo archivo. Je pense, donc j’archive. C’est le titre d’un livre écrit bien plus tard que le Discours de la méthode par un auteur beaucoup moins connu que Descartes mais écrit au même âge, tiens tiens… (voir des extraits). À dire vrai, il aurait aussi bien pu s’intituler Archivo, ergo sum (pour un second tome, peut-être…).
Le ton enjoué de l’ouvrage masque, à tort, son sérieux sur le fond. L’argument est que les archives ne sont pas une substance prédéfinie ou une accumulation mécanique irréfléchie mais une connaissance construite par les humains. Le message est que le geste d’archiver est le résultat d’une réflexion : ce document que je viens de recevoir ou que je viens d’envoyer engage ma responsabilité (ou celle de mon entreprise, de mon institution) dans le temps ; ergo sa disparition présenterait le risque de me priver d’une preuve ou d’un savoir unique, ce qui serait dommageable voire très dommageable ; ergo, je dois l’archiver. En conséquence, on n’archive pas n’importe quoi mais bien ce qui le mérite, après réflexion.
Le seul usage de la conjonction adverbiale ne suffit pas cependant à garantir la qualité du raisonnement ; les sophismes sont faciles et on peut « ergoter » sans raison, par exemple avec le schéma cum hoc ergo propter hoc qui conclut de la coïncidence de deux événements un rapport de causalité gratuit et erroné :
- le soleil se lève quand je chante, ergo j’ai le pouvoir par mon chant de faire lever le soleil ;
- le Monsieur est sorti de la boutique au moment où j’y entrais, ergo je l’ai fait fuir ;
- j’ai reçu un courrier avec la signature du président de la République, ergo il me connaît personnellement ;
- mon prédécesseur était un imbécile, ergo je peux jeter ses dossiers…
Ergo, il faut militer, notamment dans l’entreprise, pour une plus grande réflexion des humains face à la valeur de l’information et des documents.
C’est bien ce qu’on appelle l’ergothérapie, non ?…
Bonjour,
Merci pour la conclusion de votre billet qui me paraît être l’affirmation la plus utile à proclamer « Militer pour une plus grande reflexion des humains devant la valeur de l’information et des documents » et notre plus grand challenge (nous = les professionnels de l’archivage). Aujourd’hui, je constate pourtant que nous militons plus souvent à faire passer le message « J’archive donc je verse ». Faisant, du coup, passer l’action d’archiver pour une action essentiellement logistique. Et vous avez raison de rappeler qu’archiver est avant tout un geste issu d’une réflexion, certes rarement conscientisé, de mettre en sécurité un document, une information, parce que l’on sait qu’on en aura besoin pour justifier d’un droit ou tracer une action. Pour le reformuler avec « mes mots » je dirais que nous devons militer pour faire prendre conscience aux humains de l’importance que revêt, dans notre société qui demande de plus en plus de rendre (des) comptes, le geste d’archiver.
Oui, bien sûr, il faut militer pour expliquer le sens des mots et la valeur des gestes. Militer, démonter, répéter, illustrer et chanter aussi, ce que je vais faire dès lundi prochain…
Autre variation: Je dépense donc je suisse … (la vache qui rit).
😉 🙂 😀