Le stylo a-t-il un avenir ?
Le numérique balaie tout sur son passage, comme un tsunami : papiers, crayons et gommes, encres et stylos, comme la bille, il y a quelques décennies, a balayé la plume. À quoi peut servir un stylo dans l’univers des ordinateurs, des tablettes et des réseaux sociaux ?
Surfant sur la vague du chamboulement numérique, plusieurs entreprises (Staedtler, Zpen, Logitech ou Kayentis) ont inventé et commercialisé le « stylo numérique », parfois qualifié de stylo intelligent. L’objet en forme de stylo est doté de capteurs qui enregistrent les signes tracés par l’utilisateur et les transpose instantanément en caractères ou traits numériques sur un écran. Un outil de « production-numérisation en live »… Les conditions d’utilisation du style numérique sont cependant assez contraignantes : écrire lisiblement, ne pas cacher le capteur avec un doigt, utiliser des mots faciles à océriser, voire disposer d’un papier lui-même intelligent.
Sur le plan technique, on peut effectivement qualifier ces produits d’innovants, mais sur le plan des idées, le stylo numérique est tout à fait représentatif de ces inventions bâtardes, intermédiaires entre deux périodes de l’histoire des outils, dont la valeur ajoutée est surtout d’aider à la conduite du changement en familiarisant les utilisateurs avec l’outil de destination (de ce point de vue, il y a des procédés moins onéreux). Et de fait, en regardant de plus près les sites marchands, on constate que le stylo numérique est déjà oublié ou en voie de l’être, ce qui était prévisible. Ç’aura été une parenthèse d’une dizaine d’années dans l’histoire des outils d’écriture, soit peu de chose.
Le clavier et, de plus en plus, l’écran tactile périment l’usage de l’écriture manuscrite. N’est-il pas plus sûr d’envoyer un SMS pour dire « prends une baguette en rentrant » que d’écrire sur un post-it « pense à acheter du pain », message qui, si le post-it ne s’est pas décollé, si l’intéressé a regardé au bon endroit ou s’il n’est pas déjà passé chez le boulanger, obligera à ressortir ?
Le mariage stylo – numérique ne pouvait se solder que par un divorce pour cause d’incompatibilité d’humeur, de différence de méthode, de divergence de culture. Le couple millénaire composé des deux doigts opposés que sont le pouce et l’index (avec l’aide du majeur pour soutenir le stylo) est complètement ringardisé par la paire formée des deux pouces face à un écran de smartphone…
L’écriture cursive abdique donc son utilité séculaire devant les technologies numériques. Dès lors, pourquoi en imposer l’apprentissage aux enfants ? C’est la question que se sont posée plusieurs États américains dont une partie a conclu que l’écriture cursive ne serait prochainement plus requise à la sortie de l’école élémentaire (voir l’article du Figaro sur le sujet).
Mais il y a d’autres retombées à ces évolutions, notamment l’émergence d’une nouvelle discipline, la cursographie, connaissance des écritures cursives au stylo, avec ses formateurs et ses experts, ce qui peut créer quelques emplois. En effet, de même qu’il y a des paléographes pour lire les chartes médiévales, les minutes notariales du XVIIe siècle ou les manuscrits littéraires du XIXe. la société aura besoin d’ici quelques années d’animateurs pour les ateliers culturels de déchiffrement des cahiers d’écoliers des années 1980, des lettres de réclamations des administrés à la Sécurité sociale ou aux impôts (que l’on aura conservées en intégralité comme matière historique) ou d’autres vestiges personnels de la fin du XXe siècle. Grâce à la cursographie, les enfants d’aujourd’hui occuperont leur retraite à découvrir ainsi leurs aïeux, avec qui ils n’ont jamais eu le temps de discuter, branchés qu’ils étaient sur leur MP3 ou leur iPad). Ainsi va la vie.
Vous connaissez les ordinateurs couplés à des vidéo-projecteurs – pour projeter un film ou une image depuis l’ordinateur vers un écran – et les tableaux blancs classiques, sur lesquels nous écrivons avec des feutres effaçables. Le tableau blanc interactif permet de relier tout ceci (avec des fils ou des ondes). Lorsque vous lancez un programme sur l’ordinateur, il est projeté sur le TNI, et, miracle ! Si vous écrivez sur le tableau, vous pouvez enregistrer sur l’ordinateur. Vous pouvez même, avec le stylo numérique, contrôler totalement l’ordinateur depuis le TNI, donc debout devant la classe (ou le faire faire par un élève envoyé au tableau).
Merci de votre message. Oui, je connais cette technologie et l’ai testée avec beaucoup de plaisir il y a quatre ans dans le cadre de mon enseignement au Cnam où il y a des studios de cours remarquablement équipés. Je reconnais que la capture numérique de l’écriture manuelle au tableau est particulièrement séduisante dans le cadre de la formation mais pour l’écriture personnelle, je continue à croire que le stylo numérique n’a pas d’avenir.
Pour faire un lien avec écolo et sado-masochisme, billets que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire, je vois les enfants prendre autant de plaisir à écrire, faire des dessins sur un morceau de papier ou un support « physique » que sur le clavier d’ordinateur ou sur i_pad. Et puis, ils n’enregistrent pas ce qu’ils ont fait. ça c’est rigolo.
Quand j’étais à la faculté et que je m’étais acheté mon premier Mac Intosh, j’avais l’impression que mon document écrit avec des caractères informatiques racontait moins de bêtise que si je l’écrivais à la main… Les enfants aujourd’hui aiment les deux écritures et l’une n’est pas plus noble que l’autre.
Lire un livre sur support matériel ou lire un livre sur support numérique, nous avons besoin des deux. Dans l’un je peux corner les page, souligner, écrire. Dans l’autre, je peux trouver un mot tout de suite.
Pourvu que l’homme ne s’aliène pas avec les technologies.
Merci de votre témoignage, Aude. Oui, l’essentiel me paraît aussi d’éviter l’aliénation de l’homme par la technologie. Sur la concurrence ou fausse concurrence entre les deux supports, papier et numérique, il me semble que pour ce qui est de l’utilitaire, le numérique prend l’avantage; pour le plaisir et l’art, tous les supports sont également appréciables.
Dans votre exemple du MacIntosch, l’impression de la meilleure qualité vient-il de la nouveauté de l’outil, de l’assistance technique de l’ordinateur (mise en page, correction orthographique), de la similitude avec un livre imprimé (qui fait autorité), de tout cela?
J’aime beaucoup votre réaction à cette information qui donne une perspective historique à l’exercice d’écriture. L’écriture cursive reste encore un remarquable outil qui ne nécessite pas un support particulier et pas d’énergie pour la création du texte (sauf celle de tenir son stylo), mais force est de reconnaitre qu’à part mes carnets de voyage (je voyage sous la tente sans électricité) et quelques lettres à des amis dinosaures, je n’écris presque plus que sur le clavier. Et je serai bien incapable d’écrire, comme je l’ai fait fut un temps pas si lointain, durant 5 ou 7 heures de rang pour un concours.
Quand même, la perspective d’être entièrement dépendant d’un objet électrique pour écrire m’inquiète un peu. Premier signe de fossilisation ?
Merci pour votre témoignage. J’y vois surtout un peu de nostalgie de la jeunesse.
L’évolution des techniques fait que, au long d’une vie, on est amené à en changer de pratiques, tôt ou tard, sauf à se marginaliser ; ce n’est pas vrai que pour l’écriture ; ça l’est aussi pour les transports, l’habillement, l’alimentation, le chauffage, etc.
Le nombre de personnes qui seraient capables d’écrire 7 heures d’affilées avec un stylo diminue radicalement (je me demande si j’en serais capable), tandis que le nombre de ceux qui passent 7 heures derrière un clavier augmente. Ce n’est ni bien ni mal ; c’est ainsi. Les techniques se succèdent et les précédentes sont poussées vers le musée, sauf dans la dimension culturelle comme on refait des séances de certificats d’étude à un siècle de distance, ou comme on emprunte une voiture à cheval pour se déplacer dans les villes touristiques.
Vous dites que l’écriture cursive ne sollicite pas d’énergie mais cela n’est vrai que pour celui qui l’a appris jeune et qui le fait naturellement. Il semble que, justement, cela est assez voire trop compliqué pour des adolescents qui essaimaissent avec leurs pouces d’écrire un texte avec un stylo en lettres attachées.
Si on y réfléchit, quand on se trouve dans le désert et qu’on perd son stylo ou qu’il n’a plus d’encre, on se trouve dans la même situation que le voyageur dont la batterie de smartphone est en panne. On peut toutefois écrire dans le sable avec un doigt, l’important étant d’avoir quelque chose à écrire.