On voit qu’au total Guillaume Delisle a regroupé une quantité imposante de sources. Bien sûr les récits se recoupent pour une bonne part mais les observations géographiques, toujours approximatives, diffèrent sensiblement de l’un à l’autre et chacun doit néanmoins être dépouillé avec soin par le savant qui note un par un les détails de la géographie physique, les mentions de localités ou de distance. La comparaison des données conduit le géographe à déterminer ou du moins à choisir des points sur la carte. Les manuscrits de G. Delisle offrent deux exemples de la méthode qu’il a utilisée dans la construction de ses cartes de Moscovie et de Tartarie.
Le premier exemple est un ensemble de cartes manuscrites que Guillaume Delisle a dressées ou reproduites pour mettre en évidence des itinéraires de quelques auteurs du XVIe et du XVIIe siècle : Paul Jove, Herberstein, Anthony Jenkinson, Isaac Massa, Olearius et Mayerberg. Le tracé de la route empruntée, qui se confond le plus souvent avec le cours des fleuves (principalement la Volga), est complété par une multitude d’annotations géographiques, écrite chacune là où se situe sur la carte le lieu dont elle traite ainsi que le montrent les deux photographies pages suivantes.
Ces remarques tirées des relations elles-mêmes apportent des précisions variées : la situation d’une île ou l’existence d’un village dont les noms sont inconnus, l’importance d’une ville ou l’étendue d’une province, la fertilité d’une région, le nom des villes que le voyageur a laissées sur sa droite ou sur sa gauche. Les remarques les plus notables sont celles des distances entre les villes données par les auteurs. Elles sont exprimées tantôt en lieues tantôt en verstes, voire en journées de bateau, de cheval ou de marche, ce qui ne simplifie pas la tâche du géographe, la valeur des lieues et des verstes (dites aussi « milles de Moscovie ») étant elle-même approximative.
Outre les mentions de distances, les précisions de longitude sont de la plus grande importance pour le cartographe. On peut voir sur la carte de l’itinéraire de Jenkinson, à côté des longitudes de villes proposées par ce voyageur, les corrections apportées au crayon par Guillaume Delisle, vraisemblablement à l’aide des récits de voyages postérieurs. À force de comparaisons et de corrections, les erreurs se réduisent progressivement.
Un autre document rend compte d’une étape différente mais complémentaire dans la construction de la carte générale. Il s’agit de quelques feuillets intitulés « Quelques connaissances sur la Russie, tirées de différens auteurs » mais qui n’intéressent en fait que la géographie de la Sibérie. Les observations d’un petit nombre de voyageurs (en particulier Jenkinson, Avril et Nikiposa) s’y trouvent regroupées par thèmes : d’abord ce qui concerne l’Irtiš et l’Ob’ puis l’Enisej, les déserts de Sibérie, les montagnes, etc. Ces notes, malgré leur imprécision et l’étendue du territoire considéré, constituent une première approche pour le géographe.
Après un long dépouillement des sources et plusieurs cartes intermédiaires, Guillaume Delisle publie donc en 1706 le fruit de son travail en deux cartes.