Le territoire est un morceau d’écorce terrestre, avec ce qui s’y trouve de minéral, végétal et animal (humain inclus), considéré relativement à une autorité qui le contrôle ou prétend le contrôler. Cela va du territoire national (quelle que soit la nation) où l’on entre, dont on sort et où l’on vit selon les règles de ladite autorité, jusqu’au territoire de chasse d’une bande organisée, en passant par le territoire que le moindre chiot se plait à délimiter en levant gaiement sa papatte au pied de quelques arbres bienveillants.
Il y aurait beaucoup à dire sur les territoires. Je vais donc limiter mon propos à quelque chose que je connais un peu, à savoir les archives, pour parler de la relation entre archives et territoires, autrement dit d’archives territoriales. Dans le langage administratif, les archives territoriales désignent les services d’archives constitués au sein des collectivités territoriales (dites autrefois collectivités locales) : archives communales, départementales et régionales.
Les archives communales et les archives départementales, créées par la Révolution française, ont vocation à conserver d’une part les archives (documents du pouvoir) des autorités administratives ayant ou ayant eu leur siège dans le territoire considéré (commune, département), d’autre part les archives (documents de mémoire) des populations vivant ou ayant vécu sur ce territoire. Dans les régions, échelon plus récent du « millefeuille » politique et administratif, les services d’archives n’ont pas hérité des archives des institutions antérieures du même espace géographique (lesquelles sont conservées aux Archives départementales) et la notion de patrimoine archivistique de l’entité « population régionale » n’existe pas réellement.
Ce qui me frappe dans cette notion d’archives territoriales, c’est la dissociation progressive des archives et des territoires, au niveau du contenu et sur le plan de la localisation des supports.
Il est facile de constater que, parmi les sources archivistiques de la mémoire collective produites chaque année, la part des documents qui sont issus des institutions administratives territorialisées (décentralisation, déconcentration des services publics) diminue au profit des documents et données émanant d’initiatives privées et transverses (familles, associations, organismes divers, entreprises…) pour des activités souvent affranchies d’un ancrage territorial circonscrit.
Par ailleurs, l’environnement numérique et le réseau mondial (e-administration, commerce en ligne, réseaux sociaux, médias, entreprises internationales) gomment l’emprise du territoire et de sa matérialité au profit de la communauté virtuelle dans la constitution des traces du pouvoir et des sources de la mémoire, et par conséquent de leur archivage.
Les archives de la télévision ou du Web illustrent un aspect de cette nouvelle non-territorialité des archives. Les actes notariés en sont une autre illustration : ils peuvent réglementairement être produits sous forme numérique depuis 2005 (décret du 10 août) par chacune des 4000 études notariales que compte la France, mais il n’est prévu qu’un seul minutier numérique pour conserver les minutes de toute la France, à Paris, alors que les minutes notariales constituent encore aujourd’hui une part majeure des fonds des archives départementales.
Le découpage administratif des archives territoriales a-t-il du sens pour l’organisation de la conservation des archives de demain ? L’Université catholique de Louvain s’interroge cette année sur ce que seront les archives et le métier d’archiviste dans quinze ans. Ne devrait-on pas s’interroger sur ce que seront les Archives départementales dans vingt ans ?
Certes. Mais pour l’instant, les archives territoriales sont le lieu où le public aime à venir, lieu plébiscité par les généalogistes, mais aussi par les innombrables citoyens qui viennent pour un besoin administratif, propriété, cadastre, nationalité… les questions sur la nationalité sont très prégnantes aujourd’hui,, recherches de naturalisations (réelles ou imaginées). Le citoyen perdu et renvoyé d’administration en service public échoue souvent aux archives locales. C’est un lieu de recours. Peu importe pour lui qui archive quels fonds…
Merci de lancer le débat, Isabelle. Oui, vous avez raison, aujourd’hui les archives territoriales jouent ce rôle de repère pour les citoyens qui cherchent des informations patrimoniales (généalogie) ou administratives (traces de leurs droits). Et elles vont continuer de le faire pendant un certain temps. Ma réflexion (très résumée dans un billet de blog) est prospective : d‘une part, les données administratives vont de plus en plus être centralisées (c’est une des conséquences de l’informatique, je cite le minutier électronique des notaires, mais on peut imaginer à moyen terme un registre numérique d’état civil pour toute la France) ; d’autre part, il y a de plus en plus d’initiatives de collections patrimoniales (je l’observais déjà il y a 20 ans et j’en parle dans Je pense donc j’archive), ce qui va se développer sous la forme de « fondations » patrimoniales sur des critères thématiques (communautaires) et non territoriaux. La question est d’analyser les évolutions et de veiller à la bonne adéquation entre conservation de la mémoire collective et accès.