Première impression
L’analyse de ce beau matériau conduit à divers constats, prévisibles pour les uns, plus inattendus pour les autres. Les neuf extraits qui suivent résument (si tant est que ma sélection soit objective) assez bien l’ensemble du corpus :
DE L’OR NOIR POUR RÊVER EN COULEURS. Les capacités d’archivage (un disque peut contenir quarante mille images) et de stockage devraient fournir un premier champ d’application à cette technique d’avenir. LE MONDE, 2 mai 1977, 810 mots
ALGÉRIE PARIS ET ALGER CHERCHENT À RÉGLER ÉQUITABLEMENT LE PROBLÈME DE LA RESTITUTION DES ARCHIVES DE LA PÉRIODE COLONIALE ENTREPOSÉES EN FRANCE. Les négociateurs pourraient envisager la formation par la France d’équipes d’archivistes et échelonner dans le temps, selon un calendrier établi en commun, le rapatriement des documents ou de leur reproduction, en fonction des capacités humaines et matérielles d’archivage du partenaire. LE MONDE, 28 octobre 1981, 776 mots
LA PASSION SELON JEAN-CHRISTOPHE AVERTY. Je suis heureux d’avoir contribué à l’archivage du jazz. Depuis 1958 où j’ai filmé Sidney Bechet à Cannes, je n’ai jamais cessé de le faire : à Antibes, de 1960 à 1974, à Nice ensuite, à Antibes à nouveau, après quoi on m’a expliqué que le jazz était passé de mode. » LE MONDE, 21 juillet 1986, 774 mots
LES FAUSSES FACTURES AU TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE PARIS LE PROCÈS DE LA COGEDIM A REPRIS SON COURS APRÈS UN MOIS DE RELÂCHE. Or l’archivage connaît parfois d’aimables ratés : » On a recherché ces factures et on n’a pas trouvé. » , 8 janvier 1992, 404 mots
LES RAYONS DU SOLEIL JOUENT LES ESPIONS POUR LES CLIMATOLOGUES. Le CNES assurera à Toulouse le traitement et l’archivage des données recueillies par Polder durant les trois ans de fonctionnement du satellite Adeos. , 31 août 1996, 786 mots
LE CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL, EN PERTE DE VITESSE, ENTEND SE RÉFORMER. Sur la masse de la littérature produite par cette Assemblée – pas moins d’une centaine de rapports entre 1994 et 1999 ¯, l’essentiel est voué à l’archivage… LE MONDE, 8 février 2000, 1182 mots
A LA CONQUÊTE DU GRAND PUBLIC. Sans parler des entreprises, pour qui l’archivage numérique représente un véritable changement. Il existe bien sûr des unités de stockage alternatives, comme le Compact Disc (grâce aux graveurs de CD-R et RW aujourd’hui généralisés) ainsi que les cartouches ZIP. LE MONDE INTERACTIF, 18 avril 2001, 780 mots
EN ALLEMAGNE, GOOGLE ENREGISTRE « INDÛMENT » DES DONNÉES PERSONNELLES. Plus généralement, c’est l’archivage systématique de quantités colossales d’informations par le leader mondial de la recherche en ligne (66 % de parts du marché) qui inquiète les autorités de protection des données personnelles. LE MONDE, 19 mai 2010, 369 mots
CHRONIQUE D’UNE ALTERNANCE. A l’Élysée, où Nicolas Sarkozy a exceptionnellement dormi le soir du second tour de l’élection présidentielle, on organise l’archivage, on prépare le déménagement des appartements de fonction, on finalise les derniers reclassements. SUPPLEMENT SPECIAL, 23 mai 2012, 6736 mots
Mon objectif dans cet article est d’analyser les contextes d’emploi et le sens du mot chez ceux, journalistes ou auteurs extérieurs, qui l’utilisent. Pour ce faire, je me suis efforcée, par itérations, de remplacer dans chaque extrait le mot archivage par un ou plusieurs autres mots sans changer le sens du propos. Exercice instructif mais difficile car je dois avouer que pour un dixième environ des extraits, je n’ai pas bien compris ce que l’auteur voulait dire exactement… Je vais donc dans la suite commenter les différentes acceptions rencontrées dans ce corpus en les illustrant avec environ un quart des extraits recueillis, soit très précisément 123 citations.
Mais avant de poursuivre, je voudrais donner quelques statistiques et précisions terminologiques.
Occurrence du mot dans le temps
Les 477 citations se répartissent ainsi par décennies :
L’année qui recueille le plus de citations est l’année 2001, avec 31 articles, mais il est difficile d’en expliquer la raison : les sujets abordés sont très variés. Donc, rien de bien significatif dans cette répartition. On observe une fréquence à peu près égale sur les trente dernières années.
Les contextes d’emploi sont très variés (technique, culture, actualités) mais un sujet cependant sort du lot : il s’agit de l’INA dont les missions et les projets sont volontiers commentés par les journalistes (41 extraits sur 477).
391 articles sur 477 sont signés, autrement que par des initiales, par un journaliste du Monde ou une personnalité extérieure. Parmi les 272 auteurs différents, sept utilisent le mot archivage plus de cinq fois. Il s’agit de :
- Jean-Jacques BOZONNET (5 fois entre 1997 et 2000)
- Stéphane FOUCART (5 fois entre 2000 et 2010)
- Cécile DUCOURTIEUX (6 fois entre 2000 et 2010)
- Hervé MORIN (7 fois entre 1999 et 2010)
- Jean-François LACAN (8 fois entre 1982 et 1986)
- Michel ALBERGANTI (11 fois entre 1996 et 2006)
- Michel GUERRIN (16 fois entre 1997 et 2010).
Mais au fait, d’où vient ce mot ?
Le substantif « archivage » est défini basiquement dans le Petit Robert comme un mot du XXe siècle désignant l’action d’archiver. Le verbe archiver est lui-même signalé comme apparu en 1877 et rare, avec le sens de « classer (un document) dans les archives ».
Le dictionnaire Littré ne connaît pas le terme. Il n’existe pas non plus d’entrée « Archivage » dans le dictionnaire de l’Académie française, ni dans la 8e édition (1932-1935) ni dans la 9e (en cours). Le mot n’apparaît pas non plus dans le pourtant merveilleux dictionnaire du Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL).
À tout hasard, je suis allée voir l’Antidico. Le dictionnaire des mots absents des autres dictionnaires. Pas d’archivage non plus dans l’Antidico : dans la liste alphabétique des mots qui y sont relevés, on passe directement de « Archipauvre adj. Très pauvre » à « Arctophilie n.f. Collection des ours en peluche ». Je note au passage que Le Monde a parlé quatre fois d’arctophilie depuis sa création (entre 1981 et 2010).
Il est vrai qu’archivage a été pendant des décennies un mot assez rare, même chez les professionnels des archives. En 1986, le Vocabulaire archivistique de AFNOR (Association française de normalisation), première édition, retient le mot mais en donne une définition très peu technique : « Archivage : terme employé dans les bureaux pour le rangement des dossiers d’affaires terminées ».
À l’époque – je m’en souviens très bien car je suis un des co-auteurs de ce vocabulaire, sous la direction de Bruno Delmas – , ce n’était pas un mot d’archiviste. Les archivistes parlaient d’archives qui parvenaient dans les institutions archivistiques par le biais de « versements » (archives publiques) ou de « dépôts » (archives privées), où elles étaient traitées et inventoriées. Le processus de « mise en archive » pour reprendre l’expression de Paul Ricœur ou de Jacques Derrida, n’intervenait pas dans les pratiques des archivistes. Ayant exercé comme archiviste départemental entre 1984 et 1994, j’en ai la mémoire très claire.
L’archivage et sa palette de sens
L’analyse du corpus des 477 citations du Monde sur soixante-dix ans est très révélatrice de la diversité des acceptions et de l’évolution du mot depuis le siècle dernier. J’en avais le sentiment depuis quelques années, au travers de mon expérience professionnelle et de mes recherches ; j’en ai maintenant la confirmation.
Procédant par agrégations successives, je me suis efforcée de classer les 477 citations selon le sens donné au mot archivage dans la phrase et de dégager des thématiques. Quatre valeurs sont ressorties de cette analyse :
- en premier, l’archivage comme mission de collecte et de conservation du patrimoine et de la mémoire collective, archives administratives à valeur historiques, archives audiovisuelles, scientifiques, culturelles (187 citations) ;
- ensuite, l’archivage du point de vue des producteurs des documents qui archivent, c’est-à-dire qui enregistrent les informations pour constituer des traces et qui classent les documents aux archives ou dans un système d’archivage, dans un cadre réglementaire ou pour des besoins internes (59 citations) ;
- en troisième lieu, l’archivage du point de vue des supports, supports physiques (papier essentiellement) et surtout magnétique, optique, numérique, suivant l’évolution des technologies (180 citations) ;
- la quatrième thématique est l’archivage comme processus de mise en mémoire d’informations et de connaissances, à des fins de mémoire personnelle ou collective (51 citations).
L’affectation d’une citation à l’un des quatre thèmes n’a pas toujours été de soi. Il fallait faire un choix, l’objectif étant de faire ressortir les grandes tendances de perception et d’utilisation du mot « archivage ».
Les 123 extraits, sélectionnés comme les plus représentatifs, ont été répartis selon les quatre thèmes :
- l’archivage comme mission patrimoniale : 39 extraits, de 1978 à 2013 ;
- l’archivage du point de vue des producteurs des documents : 39 extraits, de 1979 à 2014 ;
- l’archivage du point du vu des supports : 28 extraits, de 1953 à 2013 ;
- l’archivage comme processus de mise en mémoire : 17 extraits, de 1968 à 2013.
Je me suis brièvement posée la question de savoir s’il fallait classer à part ce qui touche à l’environnement numérique qui est le nôtre aujourd’hui mais j’ai vite écarté cette idée, d’abord parce qu’elle est « illégale » au sens où le support n’entre pas dans la valeur de l’archive, numérique et papier étant égaux au regard de la loi (code civil, art. 1316-1, code du patrimoine, art L211-1), ensuite parce que le sujet de mon étude est la signification du mot chez ceux qui l’emploient, en lien avec l’objet documentaire archivé et indépendamment du support.
Je présenterai donc dans les quatre billets suivants le corpus des 123 citations réparties dans ces quatre thèmes, avant de conclure mon analyse dans le 6e billet. Chaque groupe de citations figure à la fin du billet, dans l’ordre chronologique, avec un numéro d’ordre (A1, A2, A3…), identifiant repris comme référence dans l’analyse.
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