Le préfixe/préverbe dé- est assurément l’un des plus subtils de la langue française ; c’est en tout cas mon préféré (ex-aequo avec ré-).
Ainsi la décroissance n’est pas seulement le fait de décroître (comme la croissance est le fait de croître) mais aussi le fait, sensiblement différent, de croître moins vite, autrement dit le fait de ralentir la croissance.
Le concept politico-philosophique de décroissance est relativement récent. Il découle de la comparaison entre la croissance démographique et économique et les ressources de la planète qui l’alimentent. Constat : la balance penche en défaveur de la nature… Parallèlement, le bonheur de l’humanité– que la croyance scientifique et populaire a longtemps corrélé à la croissance économique – n’est pas au rendez-vous.
Le plus n’est pas une fin en soi.
Le mieux concurrence le plus (vive les gastronomes et les nutritionnistes !) mais la qualité ne suffit plus. L’adéquation à l’environnement et aux autres est le nouveau modèle pour tempérer les excès de la mondialisation.
Voici venue l’heure du juste, de la consommation adaptée à la fois aux besoins et aux moyens, par exemple avec la simplicité volontaire, philosophie de la décroissance. C’est juste sensé.
A priori, la décroissance vise le flux et non le stock. Il ne s’agit pas de détruire ce qui est produit mais de réduire l’augmentation du stock en produisant moins vite, le temps de permettre à la nature le temps de régénérer les ressources, ce qui se fait sur un terme court, moyen, long ou très très long selon les matières, et parfois pas du tout.
Mais l’idée d’une dose de raisonnable, basé sur le pourquoi avant le comment, concerne toutes les activités. J’en conclus que la décroissance s’applique aussi à l’archivage (flux) et aux archives (stock).
Du reste, parmi les conseils de base pour la simplicité volontaire, j’en relève plusieurs qui sont parfaitement transposables à la gestion de l’information et à l’archivage : apprenez à fabriquer par vous-même ; désencombrez votre intérieur ; consommez mieux et localement ; découvrez les vertus du partage et de l’échange.
Quelle pertinence à consommer dix feuilles de papier ou dix fichiers numériques pour écrire à quelqu’un qu’on va lui téléphoner, sans avoir rien à lui dire d’ailleurs, puis stocker le tout négligemment ou, ce qui est pire, archiver chaque élément soigneusement, parce qu’une loi française mal écrite et mal comprise dit que « tout document est archive » ou que « tout écrit est trésor national » ? C’est drôle le jour du carnaval mais irresponsable au quotidien.
Faut-il stocker toutes les données au motif que nos aïeux ont eu jadis soif de connaissance sans pouvoir l’assouvir, faute de documents ?
La capacité des technologies numériques à tout enregistrer, tout sauvegarder, tout rechercher, est-elle une raison nécessaire et suffisante à un archivage illimité ?
Pourquoi faire payer aux générations d’aujourd’hui et de demain la préservation et la pérennisation de kilomètres et de teraoctets d’archives inutiles ?
Le discours sur la décroissance pourrait efficacement inspirer une politique d’archivage…
Il faudrait pour cela donner plus de place à l’intelligence humaine, celle qui met le bon sens au service du bien être et qui a bien du mal à trouver sa place entre l’enclume de l’intelligence académique et le marteau de l’intelligence artificielle.
Il faudrait aussi un peu de courage politique, denrée rare. Les ressources de la planète en courage politique seraient-elles déjà épuisées ?
J’ai bien ri à votre dernière phrase! D’autant plus que je m’occupe aujourd’hui de gestion des ressources naturelles 😉 Peut-être cette ressource, le courage politique, n’est-elle pas « naturelle » au sens de « disponible naturellement » chez l’être humain ? Se « cultive »-t-elle comme on cultive un jardin, ou se cueille-t-elle comme on cueille un fruit (fruit d’un labeur, fruit d’une discipline, fruit de quoi…) ? Ou alors est-ce une vertu de naissance du bonhomme ou de la bonne-femme, version XXIème siècle et post-ADN de la prédestination ?
Parlant de prédestination…
Ce que vous dites sur l’infobésité s’applique-t-il au « big data » ? A partir de quand big devient-il « too big » ? N’est-ce pas, là aussi, une tare de naissance aussi, mais cette fois-ci, du concept ?
La question du caractère naturel ou non du courage politique mériterait un long développement philosophique; je vais commencer par relire les bons auteurs…
Concernant infobésité et big data, j’insiste sur le fait que le big data est une notion objective (les milliards de données qui existent, prolifèrent et sont avalées par les moteurs algorithmés), tandis que l’infobésité est une notion subjective (je me sens submergé par les informations ou les données). A défaut de changer l’existence des données (et encore, on peut tout à fait avoir un comportement qui en réduit la production), un individu a le pouvoir de changer la perception qu’il en a.
L’analyse de la valeur de l’information revêt toute son importance. Entre documents éphémères et documents engageants, il faut choisir de conserver que les documents ayant le plus de valeur pour l’organisation, entre autres les documents engageants.
Une bonne définition de ces deux valeurs dans les organisations devrait faire en sorte que l’infobésité diminue.
Oui, il faut détailler tout cela, définir les concepts pertinents aujourd’hui: valeur de l’information mais aussi valeur du document (objet d’information), infobésité externe (tout ce que subit l’utilisateur) et infobésité interne (ce que produit l’organisation), etc. et définir aussi les unités de mesure. Il y a du boulot!